James Bond : Mourir et laisser vivre

JAMES BOND / Sorti de sa retraite pour contrer une pandémie terroriste (et se venger de Blofeld), Bond se découvre de nouveaux ennemis… et des allié·es inattendu·es. Retardé depuis 18 mois, l’ultime épisode interprété par Daniel Craig clôt par un feu d’artifice inédit son cycle d’aventures dans la peau de l’agent britannique. Défense de spoiler !

Après avoir porté un sérieux coup à l’organisation criminelle Spectre et capturé son chef Ernst Stavro Blofeld, James Bond s’octroie une escapade italienne en compagnie de Madeleine Swann. Leur tête-à-tête romantique va être contrarié par plusieurs fantômes de leurs passés respectifs, les contraignant à une rupture brutale. Cinq ans plus tard, Bond est tiré de sa retraite par son ami Felix Leiter de la CIA, après qu’un savant russe retourné par le MI6 a été enlevé avec une redoutable arme biologique de sa confection…

Tourné et finalisé avant la pandémie, retardé à cause d’icelle, Mourir peut attendre traite donc d’une… pandémie. Ou du moins du combat de James Bond contre une puissance terroriste cherchant à déclencher une attaque bactériologique (pour faire simple) à l’échelle planétaire. Un argument réactualisant celui de Au Service Secret de Sa Majesté (1969) de Peter Hunt, lui-même produit au moment de l’épidémie de grippe de Hong Kong. La fatalité a de ces ironies… Seul épisode interprété par George Lazenby et Diana Rigg, Au Service Secret de Sa Majesté est sans doute le meilleur des Bond parce qu’il forme le pivot dramatique de la série — Bond se marie et perd son épouse en dix minutes —, scelle la fin des années 1960, est porté par une partition géniale d’un John Barry en état de grâce et une chanson d’anthologie de Louis Armstrong que l’on retrouve ici, We Have All The Time In The World. Ce n’est pas anodin…

Pour sa première incursion dans l’univers bondien, Cary Joji Fukunaga rompt avec l’approche “sensorielle” développée par Sam Mendes sur Skyfall et Spectre : à la froideur hivernale, métallique et nocturne des images de Hoyte van Hoytema succède la colorimétrie plus organique de Linus Sandgren. Quant au son, sa dimension subjective est enfin considérée — et rendue avec insistance. Montrer que le héros subit douloureusement l’épreuve assourdissante d’un blast, c’est aussi le renvoyer à ses limites physiques et compléter le portrait esquissé dans les épisodes précédents, définissant ses frontières psychologiques ou affectives. Bref, le ravaler à sa singularité : une fragile condition humaine quand triomphent sur tous écrans d’insubmersibles mutants surhumains. Cela n’empêche pas Bond d’exceller dans les poursuites et combats, notamment le corps à corps en suivant une progression de jeu vidéo devant atteindre le boss final. On notera au passage que le villain de Mourir peut attendre, campé par Rami Malek, est certainement celui dont la présence à l’écran est proportionnellement la moins importante de toute la série. Et cependant la plus décisive car elle permet après vingt-cinq opus de continuer à innover.

Meurs un autre jour

À ses débuts, la franchise Bond a donné le tempo de la production cinématographique mondiale, créant des modes et gimmicks (le film d’espionnage, les génériques à tubes et les séquences pré-génériques ultra-travaillées, les gadgets, l’iconisation du héros etc.), avant de succomber au suivisme au tournant des années 1970. En préférant satisfaire aux goûts du public, et le conforter dans ses habitudes, la série a longtemps vécu sur sa rente, flirtant parfois avec une auto-parodie presque gênante — rendue plus risible encore par d’authentiques spoofs tels qu’Austin Powers. Dans le même temps, de sérieux concurrents sur le segment action/espionnage (Mission : Impossible, Fast and Furious et autres Jason Bourne) l’ont contrainte à opérer une cure de jouvence pour éviter la banqueroute de la ringardise. Celle-ci coïncide avec l’arrivée en 2006 de Daniel Craig (quoi que l’on pense du choix du comédien) dans le smoking de 007 et surtout d’une relecture/récriture du personnage, en assumant de chambouler ses codes internes jusqu’alors intangibles.

Oser le réalisme

Ni tout à fait suite des épisodes précédents (bien qu’il reprenne des personnages apparus précédemment et ne cesse d’adresser des clins d’oeil à la série matricielle), ni totalement reboot (alors qu’il refonde le passé et l’environnement du héros en profondeur), ce “cycle craiguien“ tranche radicalement en faisant de chaque film le complément des précédents, dessinant au bout du compte un serial autonome (et bouclé) en cinq volets à l’intérieur de la saga. Une continuité portée par un arc dramatique de plus en plus affirmé, trouvant dans le dénouement de Mourir peut attendre une apogée jamais atteinte depuis Au Service Secret de Sa Majesté auquel il se réfère volontiers, on l’a vu, et dont il constitue une manière de double inversé.

À nouveau principaux architectes de ce script, Neal Purvis et Robert Wade ont poussé l’audace à un cran supérieur en osant le réalisme, là où la tradition bondienne avait toujours refusé ce carcan, au risque de tomber dans des incohérences grand-guignolesques. Grâce à leur travail accompli durant quinze ans, le personnage aura en somme bénéficié d’une totale résurrection, et s’offre ici le finale le plus spectaculaire (et imprévisible) de la série, distinguant à tout jamais Mourir peut attendre parmi les vingt-cinq aventures de 007 sous label EON productions. Il ne reste aux auteurs qu’à se remettre au travail rapidement, puisque comme le veut la coutume (qu’il n’ont pas torpillée, celle-là) de fin de générique : James Bond reviendra…

★★★★☆ Mourir peut attendre de Cary Joji Fukunaga (É.-U-G.-B., 2h43) avec Daniel Craig, Léa Seydoux, Rami Malek…

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