Y aura-t-il du (bon) chocolat à Noël ? (spoiler : oui)

Gourmandises / Crise sanitaire mondiale, afflux de rumeurs alarmistes sur la santé des cacaoyers, consommation en hausse… Aurait-on des raisons de redouter une pénurie de chocolat en cette fin 2020 ? Chez les grands chocolatiers de la région Pralus, Bonnat et Bernachon, aucune. Ouf…

Le cerveau malade ayant scénarisé l’année 2020 eût pu, en guise d’apothéose perverse et maléfique, imaginer non point la fin des haricots mais celle des fèves de cacao. Un Noël sans papillotes ni truffes, dépourvu d’orangettes, de bûches et de bouchées au chocolat ; bref, sans le divin réconfort de la théobromine, qui aurait plongé le monde dans la plus amère des afflictions. Pour ne pas dire dans un état de manque : chaque foyer hexagonal a en effet dévoré plus de 8 kg de chocolat en 2019*. Et il se peut fort qu’à la faveur des confinements, la consommation des Français ait sensiblement augmenté ces derniers mois.

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L’hypothèse n’avait rien de si ubuesque, car depuis quelques années, la situation de la filière est régulièrement sujette à des alertes. Premier péril annoncé, la problématique du réchauffement climatique : une hausse des températures de 2, 1°C prévue d’ici 2050 dans les pays équatoriaux fait courir un risque mortel aux cacaoyers ne pouvant se développer que dans des régions tropicales bénéficiant de conditions climatiques et d’une hygrométrie stables — en particulier en Côte d’Ivoire et au Ghana, assurant à eux-seuls près de 60% de la production mondiale. Si la piste du génie génétique a été envisagée pour tenter de rendre les plants plus résistants (notamment par l’usage du CRISPR/Cas9, qui a valu cette année le Prix Nobel de médecine à Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier), rien n’est encore résolu. Deuxième semonce, la publication en février dernier dans Die Welt d’un article anxiogène (relayé par la suite en France dans les colonnes du Figaro et du Point), décrivant l’apparition d’une menace sanitaire sans remède connu promettant de ravager l’ensemble des plantations d’Afrique de l’Ouest en quelques décennies ! Ironiquement, ce cocktail d’agents pathogènes se déversait dans la presse au moment où la Covid-19 se répandait à travers le monde, malmenant l’économie du globe… et fatalement celle du cacao — troisième couche, plus immédiate.

Choc en stock

Avec un tel tableau, on pouvait craindre pour nos tablettes. Et tout particulièrement en région Auvergne-Rhône-Alpes où s’illustrent depuis plusieurs générations de grandes maisons au prestige international. En première ligne face à ces menaces, les maitres-chocolatiers affichent pourtant une relative sérénité. « Il n’y aura pas de pénurie à Noël ; nos clients n’ont aucun souci à se faire », rassure le Roannais François Pralus, qui d’ailleurs ouvre une nouvelle échoppe à Montbrison. « Nous signons des contrats chaque année avec les importateurs hollandais qui conservent nos cacaos et renouvellent les approvisionnements au fur et à mesure, même s’il s’agit de petites plantations ». « En Europe, nous avons toujours 8 à 12 mois de production stockée, ajoute le Voironnais Stéphane Bonnat. Ce stock “stratégique“, c’est une base ». À Lyon, Philippe Bernachon se révèle tout autant philosophe : « Dès que l’on travaille avec des matières premières naturelles, le risque existe ; il a toujours existé. S’il arrivait quelque chose au blé, on aurait malgré tout toujours du pain dans les boulangeries ! » Et de rappeler que l’épidémie de phylloxera qui a exterminé la vigne française il y a plus d’un siècle n’a pas empêché depuis le pays de reprendre sa place de leader…

Il serait cependant inexact de prétendre que les artisans n’ont pas rencontré quelques difficultés. Stéphane Bonnat, qui habituellement effectue trente vols transatlantiques par an pour rencontrer ses producteurs, n’a pu ainsi quitter l’Isère — « on s’est retrouvé dans la situation de mes arrière-arrière-grands-parents » — et dû patienter jusqu’à décembre pour qu’une cargaison de cacao mexicaine prête au moment du premier confinement puisse enfin embarquer. Possédant sa propre petite exploitation à Madagascar, François Pralus a également connu des retards maritimes liés non pas à la crise sanitaire mais à des problèmes climatiques : les routes impraticables ayant empêché les camions d’arriver à temps à bon port, sa cargaison a manqué le bateau, décalant la livraison de plusieurs semaines.

Ces aléas sont le lot ordinaire de ces artisans-chocolatiers “bean-to-bar” — c’est-à-dire ceux, de plus en plus rares, à être impliqués dans le processus complet de transformation de la fève de cacao en chocolat. La situation s’avère plus délicate encore lorsqu’ils confectionnent des tablettes revendiquant des “pures origines“ plutôt que des mélanges, en travaillant sur des crus ou des terroirs précis. « En cas de guerre civile, d’ouragan, on pourra ne pas avoir une certaine appellation pendant un moment », se désole Philippe Bernachon. De fait, François Pralus (photo) prévoit pour l’an prochain une baisse de ses approvisionnements du Nicaragua et du Costa-Rica, touchés par des cyclones. Moins d’inquiétude quant au Vénézuela, agité par une crise politique plus que sanitaire : « le pays aura besoin, pour son économie, de vendre son cacao ».

Des coûts et des cours

Reste la question du moyen et du long terme, hantés par le spectre d’une épidémie botaniques en Afrique de l’Ouest. Sur ce point, Stéphane Bonnat se veut confiant, rappelant la funeste expérience du Brésil, 3e producteur mondial dans les années 1980 : « on raconte qu’un amoureux éconduit, voulant se venger de son ex futur beau-père, a introduit une maladie dans sa plantation pour le punir. Mais celle-ci s’est répandue sur tout le pays, le rayant de la carte des producteurs de cacao. Les Brésiliens n’ayant pas l’habitude de se laisser marcher sur les pieds créent un centre de recherche sur le cacao, comprennent ce qui s’est passé, trouvent des solutions, se remettent au boulot et repassent d’inexistant à 5e producteur mondial aujourd’hui. » Par ailleurs, la Côte d’Ivoire (43% de la production mondiale en 2018) a de la marge : « symboliquement liée à l’indépendance économique du pays, la culture du cacao a été développée pour permettre aux habitant des régions agricoles d’avoir un revenu complémentaire. La conséquence, c’est qu’il s’agit souvent d’une culture annexe avec 150 à 200 kg à l’hectare quand l’Amérique centrale ou du Sud produisent 1 500 kg ! » Les rendements sont d’autant moins poussés qu’ils maintiennent un cours favorable sur les marchés.

Autrement dit, si par malheur la perte de 90% des plantes actuelles ne pouvait être compensée par l’exploitation optimisée des cacaoyers subsistants, le risque d’une flambée des prix de la matière première pourrait subvenir. Mais là encore, ce ne serait pas ces artisans qui auraient le plus à en souffrir. « On peut s’adapter plus facilement, confirme Philippe Bernachon, parce qu’on n’achète pas la même qualité ni les mêmes quantités que les “hyper-gros” ». Avec 20t par an (contre 200t pour ses confrères Bonnat et Pralus), payer 10 centimes de plus par kg est encore envisageable ; pour un mastodonte comme le Drômois Valrhona qui, en 2018, a acquis 0, 13% de la production mondiale — soit 682 500t — la note peut devenir salée. D’ici là, on a encore de quoi croquer sous le sapin. Et même à Pâques.

*Source Syndicat du Chocolat/Kantar 2019

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