Mustapha Kerroua, la culture comme lien social

Le directeur artistique du festival La Rue des Artistes est un homme de convictions, un citoyen toujours aussi engagé à l'aube de ses cinquante ans, dont plus de la moitié au service de la culture pour tous.

Avant-dernier d'une famille de neuf enfants, Mustapha est né le 14 mai 1969 à Saint-Chamond, ville à laquelle il est resté fidèlement attaché. Le Couramiaud n'oublie pas pour autant le parcours de beaucoup de familles qui, comme l'ont fait ses propres parents, ont traversé la Méditerranée pour s'installer dans la vallée du Gier alors en pleine ébullition industrielle. A quelques pas des usines Moulin Combat, Mustapha a passé son enfance entouré de ses deux sœurs et six frères, dans le quartier du Creux où il a fréquenté le collège Pierre Joannon avant d'être orienté vers le lycée professionnel Claude Lebois. « Dès la cinquième, on m'a dit que je n'étais pas fait pour de longues études. En première année de CAP, on m'a fait découvrir plusieurs métiers qui ne m'ont pas vraiment emballé. Par dépit, j'ai choisi la chaudronnerie. »Persuadé que son destin est ailleurs, l'adolescent rendra son tablier le jour même de l'examen. Délégué de classe, il défendait ses camarades comme l'aurait fait un avocat.« Mes profs m'ont dit que je ferais sans doute mieux de faire du théâtre ! »

Derrière les platines

Qu'à cela ne tienne, Mustapha a déjà un pied dans la vie associative, notamment au sein de l 'Association Culturelle pour la Jeunesse.« Avec le soutien du maire de l'époque Jacques Badet, on avait organisé un concert des Babylon Fighters au profit des Restos du Coeur : Du rock pour des patates ! »L'association propose régulièrement des boums le samedi pour les gamins. Mustapha est aux platines. Si la radio familiale diffuse la grande chanson française, Brel en tête, le jeune homme est davantage attiré par les vinyles qu'écoutent en boucle ses frangins : Bob Marley, Elvis Presley... « En grandissant je me suis de plus en plus intéressé à la musique. Mes économies passaient dans l'achat de disques ou de matériel de sono. J'ai même fait quelques concours de disc-jockeys dans les discothèques de la région... »Passant d'incalculables heures chez Farandole, LE disquaire de l'époque à Saint-Étienne, Mustapha produira bénévolement quelques jingles pour une radio installée sur la colline de Montreynaud.

La boucle est bouclée

Famille nombreuse oblige, comme il faut bien gagner sa croûte Mustapha travaille sur les marchés, debout à cinq heures du matin chaque mercredi et samedi pour vendre des fruits et des légumes. « Mes parents n'étaient pas inquiets, ils voyaient que j'étais un débrouillard. » Puis il accepte un boulot d'homme de ménage au centre social dont dépend son association, un Travail d'Utilité Collective qu'il assurera pendant deux ans. Connaissant bien les parents du jeune homme, Norbert Morfin (alors directeur de la structure) prend Mustapha sous son aile, lui fait passer le BAFA et l'embauche comme animateur chaque mercredi. « Norbert a lancé ma carrière dans le monde socio-culturel, je lui dois beaucoup. »Soucieux de récupérer le temps perdu à l'école, Mustapha reprend le chemin de la formation avec un contrat de qualification, en 1992-93, jusqu'à obtenir un Brevet d'Etat d'Animateur Technicien de l'Education Populaire. La boucle est bouclée : enfant des centres sociaux depuis ses premières années, puis animateur, Mustapha devient à vingt-quatre ans responsable du secteur jeunes sur le quartier de Fonsala.

Nous voulions dire haut et fort que Saint-Chamond n'était pas qu'une cité grise traversée par un autopont.

Après une parenthèse dans la Nièvre où il travaille pour la Ligue de l'Enseignement au sein de la FOL 58 de Nevers, Mustapha revient à Saint-Chamond avec une idée derrière la tête. Déplorant le cruel manque de concerts dans sa ville natale, il commence à réfléchir à son projet dès 1996, prenant conscience que la culture peut être à la fois facteur de lien social et créateur d'emplois. « J'ai commencé à organiser des spectacles en faisant travailler les jeunes du quartier qui se sont pris au jeu. Certains ont demandé à se former... »Profitant de son congé parental d 'éducation, Mustapha s'entoure d'une petite équipe pour fonder l'association Atout Monde en septembre 1997. Les objectifs sont clairs : apporter la culture au plus près de la population et soutenir les artistes émergents de la région. « Afin de faire taire le discours ambiant, nous voulions dire haut et fort que Saint-Chamond n'était pas qu'une cité grise traversée par un autopont. »

Changement de braquet

Le besoin de créer un temps fort annuel dans la ville se fit rapidement ressentir. « On avait pour ambition d'inventer une nouvelle identité culturelle pour Saint-Chamond, comme l'a fait par exemple Angoulême avec la bande dessinée. »Le festival La Rue des Artistes allait ainsi naître en 1998 d'un postulat de départ plutôt novateur pour l'époque : les habitants et les artistes doivent se réapproprier l'espace urbain. Afin que l'art ne soit plus un privilège réservé à ceux qui fréquentent les musées ou les galeries, une sélection de plasticiens envahira donc les rues de la cité, en complément des concerts. Puis la programmation musicale s'étoffera au fil des éditions et, avec le temps, les arts plastiques laisseront la place aux arts circassiens. A partir de 2003, Atout Monde change de braquet : devant l'ampleur grandissante du festival, s'appuyer uniquement sur des bénévoles ne suffit plus, il faut dorénavant faire appel à des professionnels, des intermittents. « Il a aussi fallu installer politiquement l'association pour travailler en bonne intelligence avec les équipes municipales successives, être également crédible vis-à-vis de tous les autres partenaires. »En déménageant au jardin des plantes (devenu Parc Nelson Mandela) le festival installe en 2005 une vraie scène de concert. « L'année suivante, avec la venue de notre première grosse tête d'affiche, The Skatalites, nous avons décidé de fermer le parc pour des questions évidentes de sécurité. » Depuis, avec des hauts et des bas, La Rue des Artistes tient son cap. De grands noms ont marqué l'histoire du festival : Touré Kunda, Sinsémilia, Zebda, Amadou et Mariam, Manu Dibango...

Aujourd'hui Mustapha Kerroua est un homme comblé qui assume pleinement sa cinquantaine en joggant chaque jour. Un père de famille qui a transmis les valeurs de partage et de tolérance à ses trois enfants. Figure à part entière de la ville qui l'a vu grandir, son engagement pour la culture et les habitants de sa cité n'a pas faibli. «Je pense être resté le même. Je suis quelqu'un de cash, franc mais toujours libre. Diriger le festival est sans doute ma façon de faire de la politique. »Rendez-vous est pris, les 14, 15 et 16 juin pour la vingt-deuxième édition de La Rue des Artistes.


Dates repères

1969 : naissance à Saint-Chamond

1992 : arrivée de Sarah, premier enfant

1993 : obtention du BEATEP

1995 : naissance de Lucca

1997 : création de Atout Monde

1998 : première édition de La Rue des Artistes

2000 : naissance de Loana

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