Gaëlle Thomas : Hyperactive Miss Gawel

Portrait / Gestionnaire des costumes de l’Opéra de Saint-Étienne depuis quatre ans, le parcours et la curiosité naturelle de Gaëlle Thomas en font une femme pétillante, véritable touche-à-tout, active et engagée dans le paysage culturel stéphanois. Texte et photo : Niko Rodamel

Gaëlle est née à Saint-Étienne au milieu des années soixante-dix, alors que la ville était en pleine ébullition footballistique. La grande époque, comme l’on dit ici, depuis plus de quarante ans. Mais ce sera plutôt la fibre artistique qui fera grandir la petite fille qui passe son enfance sur les hauteurs de Saint-Héand, débutant l’apprentissage du chant et de la flûte traversière dès l’âge de six ans, à l’école de musique du village. L’adolescente poursuivra sa scolarité à l’Institution Saint-Paul, ponctuée par un voyage en Pologne, peu de temps avant la chute du mur de Berlin. « Je suis ensuite entrée à la fac d’Arts Plastiques sans avoir d’idée bien précise de ce que je voulais faire plus tard. J’étais vaguement attirée par la décoration… » L’étudiante découvre alors la danse africaine avec Hélène Closset puis se perfectionne avec l’association Kabanako. BAFA en poche, Gaëlle multiplie les expériences dans le monde de l’animation et s’intéresse de façon grandissante à la photographie. Avec une bande d’amis elle crée l’association Bao’bab, avec laquelle elle fait son premier voyage en Afrique. « Nous sommes partis en Côte d’Ivoire à la rencontre d’artistes qui évoluaient dans le monde la danse, de la musique ou des arts plastiques. C’était magique. » Dès l’année suivante, Gaëlle part en Belgique pour rejoindre les Beaux-arts de Liège. Grâce au programme ERASMUS, elle y étudiera la scénographie et la gravure, décrochant un stage dans les ateliers de décors de l’Opéra Royal de Wallonie.

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Voyage, voyage

De retour en France, Gaëlle se prépare à entrer pour de bon dans la vie professionnelle. « Après un stage à la Comédie de Saint-Étienne, j’ai obtenu ma première embauche au Musée des Civilisations à Saint-Just-Saint-Rambert, en tant qu’agent de valorisation du patrimoine auprès de Daniel Pouget, un homme épatant, un grand voyageur. » Les voyages, Gaëlle en redemande. Plus tard, elle retournera en Afrique, ira danser au Burkina Faso, fera un trek au Cap Vert et découvrira le Sénégal où elle accompagnera sa fille Zoé partie danser avec la compagnie du Grand Delta. Elle évoque au passage ses origines bretonnes, par son papa, du côté du Finistère Nord. « J’y vais régulièrement pour me ressourcer, mais je ne me vois pas passer mes vieux jours là-bas ! » A sa réouverture en 2001, Gaëlle intègre le Musée d'Art et d'Industrie de Saint-Étienne, en charge de la médiation culturelle, de la programmation puis de la direction technique. Durant les douze années passées au MAI, Gaëlle s’investira notamment sur la question de l’accessibilité pour les personnes porteuses de handicaps, plus spécifiquement en faveur des déficients visuels, un public souvent oublié dans l’offre classique des musées. « À cette occasion, je me suis initiée à la langue des signes et d’ailleurs, aujourd’hui encore, la question de l’accessibilité à la culture reste pour moi une vraie préoccupation. »

Nous possédons ici de vrais trésors, c’est pourquoi j’ai aussi une mission de conservation.

Nouveau virage, Gaëlle réussit un concours de la Fonction publique qui lui permet de postuler à l’Opéra de Saint-Étienne. L’atelier costumes y est né en 1987 mais, avec le temps, les pièces d’une cinquantaine de productions s’accumulent de façon plus ou moins anarchique. Un poste est créé pour la gestion des costumes, Gaëlle saute sur l’occasion et depuis mars 2014 prend sa mission à bras-le-corps : il s’agit de mettre de l’ordre dans l’ensemble du stock, de classer, de répertorier, en imaginant pour certains ensembles une possible réutilisation après transformation. Au milieu d’un dédale de portants et d’armoires Gaëlle explique : « nous possédons ici de vrais trésors, c’est pourquoi j’ai aussi une mission de conservation. » Au quatrième niveau de l’Opéra, un espace est ainsi dédié à la réserve patrimoine. On y retrouve par exemple les costumes que Philippe Favier avait créés pour Pélleas et Mélisandre en 2001. Des étiquettes évoquent Massenet, Verdi, Puccini, Debussy. Des cintres portent encore la marque MCC ou L’Esplanade. Sur les étagères reposent des cartons d’accessoires et quelques étrangetés comme ce masque en véritable peau de zèbre… De son bureau dans les étages face à la ville, la vue s’étire jusqu’à la colline des Pères. Gaëlle y prépare des expositions, gère aussi les prêts de costumes. « D’ici je vois les toits de Tardy, je peux même apercevoir ma maison ! »

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L’art de la récup'

De son goût pour les arts plastiques et de sa passion pour l’Afrique, Gaëlle a commencé en 2007 la production d’une gamme de bijoux métissés, des pièces uniques qu’elle confectionne chez elle sur son balcon-véranda : barrettes, boucles d’oreilles, bracelets, colliers, bagues et petits accessoires réalisés à partir de chambres à air, de canettes, de capsules et de tissus Wax. L’art de la récup' et du recyclage. Utilisant malicieusement son surnom Miss Gawell, la chineuse aux doigts de fée participera à de nombreux marchés des créateurs ou laissera ses créations en dépôt-vente à Grenoble, Annecy, Aix-les-Bains et Montpellier. À Saint-Étienne, elle participera à quelques expositions collectives, notamment à l’Atelier du Coin. « J’y consacre moins de temps aujourd’hui, je fais ça à mes heures perdues car c’est toujours un plaisir. » Sa soif de découvertes pousse encore Gaëlle à s’initier à de nouvelles techniques, s’essayant par exemple à la sérigraphie dans l’atelier Inkoozing de la rue Paul Bert. Curieuse de tout, elle se rend le plus régulièrement possible au cinéma. Elle suit aussi de près les concerts programmés au Fil par l’association Gaga Jazz. Sur sa platine tournent en boucle quelques CD aux accents africains, forcément. L’album Pariwaga du groupe Yapa, enregistré entre Paris et Ouagadougou, l’Ethio Jazz Project du septet ligérien Ompa Bomba, mais aussi les volumes de Jazzmatazz du rappeur américian Guru, ou encore Soul of Morocco, troisième EP de la chanteuse marocaine Oum. Côté bouquins, Gaëlle a eu récemment un vrai coup de cœur pour Algériennes 1954-1962, que le dessinateur stéphanois Deloupy vient de publier aux éditions Marabout avec l’auteur Swann Meralli.

Avec ses robes à pois et ses collants flashy, ses coupes de cheveux plutôt espiègles et son sourire communicatif, Gaëlle Thomas est un sacré bout de femme qui sait ce qu’elle veut et qui, par-dessus tout, croque la vie à pleines dents.


Dates repères :

1975 naissance à Saint-Étienne

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1989 voyage en Pologne

1991 voyage en Tchécoslovaquie

1993 entrée à la fac d’Arts plastiques

1996 voyage en Côte d’Ivoire

1997 ERASMUS en Belgique

1999 emploi au Musée des Civilisations

2007 création de Miss Gawell

2001 emploi au Musée d’Art et d’Industrie

2009 séjour au Burkina Faso

2014 emploi à l’Opéra de Saint-Étienne

2015 trek au Cap-Vert + séjour au Sénégal


Sa citation préférée :

« Si les hommes ne dansaient pas sur des volcans, je me demande où et quand ils danseraient ; l’important est de bien savoir qu’on a un volcan sous les pieds afin de goûter son vrai plaisir d’homme libre. » Jacques Perret, Bâton dans les roues

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