Henri Dalem / Œil de lynx et patte de chat

Portrait / Directeur du théâtre des Pénitents depuis près de trois ans, Henri Dalem coule goutte à goutte sa vision du spectacle vivant,  avec précaution et délicatesse. Portrait d’un théâtreux attentif à l’Autre et à ce qui l’entoure.

C’est en poussant son petit vélo rouge qu’Henri Dalem fend la brume nocturne pour nous rejoindre du côté de la Gare de Châteaucreux, un début de soirée de novembre. Entre deux trains, il a une heure et demie à nous consacrer, pour nous parler de lui, de son parcours, de son boulot. « Exercice narcissique », analysera-t-il après l’entretien. Homme de théâtre plus habitué à l’ombre qu’à la lumière, ce Parisien débarqué à Montbrison il y a un peu moins de trois ans est de ceux qui rechignent généralement à se mettre en avant, préférant de loin l’aventure collective. De ceux qui prennent la parole sur scène, juste avant une représentation « parce que le spectacle n’est pas arrivé là tout seul », et parce qu’il tient à ce que le public « comprenne les articulations à l’œuvre entre tous ceux qui lui permettent d’avoir lieu ». De ceux qui ont choisi la voie du théâtre pour la vie de troupe, avant toute autre chose. De ceux qui ne disent que très rarement « je », au profit du « nous ».

Avant Montbrison, la mise en scène

Longtemps metteur en scène et directeur de compagnies, Henri Dalem a su très vite, qu’il ne serait pas comédien. « C’est d’ailleurs pour ça que j’ai monté une compagnie dès ma deuxième année au cours Florent, confie-t-il. Je savais que la mise en scène m’intéressait davantage. Pas parce que je ne voulais pas être sur scène, mais parce que le jeu est quelque chose de très difficile pour moi. Endosser d’autres vies que la sienne… Comment on entre là-dedans, comment on sort de là ? J’ai un respect fou pour les comédiens, d’autant que je ne peux pas faire ce qu’ils font ». Incapable de jouer, Henri Dalem créé, pense, conçoit, monte des spectacles… Exprime son sens artistique en réponse à ce que la lecture lui procure. Dans une sorte de frénésie spontanée et mystérieuse, de nombreux textes, de très nombreux textes, de trop nombreux textes même, lui ont ainsi donné des envies de mise en scène durant près de 15 ans. Jusqu’à ce qu’il en ait un peu moins envie, qu’il ait un besoin urgent de recharger les batteries, et qu’il décide de quitter Paris, à la recherche d’un autre challenge, d’un renouveau, et de réponses à certaines questions. Nous sommes fin 2016, et Henri Dalem est aux portes de Montbrison.

Devenu directeur du théâtre des Pénitents, le metteur en scène enfile alors un autre costume. Ici en effet, plus question de monter des spectacles… Mais plutôt de les choisir. « La programmation de la saison est une partie de mon travail qui me prend pas mal de temps, étalé sur toute l’année. Il faut voir beaucoup de choses, c’est beaucoup de déplacements… » Et puis surtout, beaucoup de boulot, pour un théâtreux qui du jour au lendemain doit aussi devenir expert en musique, en chansons, ou encore, en cirque.

Décloisonner le spectacle vivant

La plus grande difficulté ? Trouver les spectacles qui plairont au public, choisir ceux qui correspondent au lieu dans lequel ils seront présentés… Tout en veillant à ne surtout jamais s’enfermer. « Le théâtre des Pénitents est un théâtre public, subventionné. Nous devons donc toujours être vigilants quant à ce que nous voulons et devons être. La question c’est « qui est dans la salle ? » Le théâtre est un lieu de différenciation sociale, c’est très compliqué. On se doit de lutter contre quelque chose de structurel à l’œuvre dans la société. En fait, nous souhaitons que les gens ne puissent plus se dire « le théâtre, ce n’est pas pour nous. » Nous devons donc faire en sorte d’avoir un panel de programmation suffisamment large. Et puis, aussi, de s’affranchir des étiquettes au point qu’aujourd’hui par exemple, nous hésitons toujours à cataloguer un spectacle comme étant "jeune public". Parce que ça ne veut rien dire… Le but est que les gens viennent en famille. »

Et, puisque la volonté d’attirer tous types de public vers la culture et le théâtre ne suffit pas forcément, la direction des Pénitents prend aussi régulièrement les choses à rebours : si les gens ne viennent pas au spectacle, pourquoi ne pas amener le spectacle aux gens ? De petites représentations gratuites sur le marché de Montbrison, des interventions scolaires, des rencontres, des mini-concerts gratuits chez l’habitant dans le quartier de Beauregard, des spectacles "hors-les-murs" dans d’autres communes du département ou même dans des fermes… Et puis un festival, Les Poly’Sons, qui, outre le fait de faire briller la chanson francophone, est un formidable outil de rencontres, et donc, un vecteur de culture.

Respect du public

Cette année, l’événement investira ainsi Roanne, Marcoux, Saint-Just Saint-Rambert, Andrézieux, Feurs, Chalmazel en tout début d’année… Avant de revenir au début de l’été pour sa Ballade désormais habituelle sur les routes du Forez, lors de représentations dans des communes plus rurales du territoire… Et dans des lieux qui ne sont pas forcément, des salles de spectacles. « Le festival des Poly’Sons, c’est comme une voiture de collection. C’est un très bel objet, mais difficile à manœuvrer. À mon arrivée, j’ai eu envie de modifier certaines choses, en allant notamment dans le sens d’un décloisonnement, mais doucement, par respect pour le public, et parce que je n’avais jusque-là pas d’autres expériences que le théâtre. Mais je crois qu’après trois ans, les choses commencent à venir. Encore une fois, le but de tout cela est que le lieu ne gagne jamais sur le fond », étaye le directeur.

En trois ans, donc, Henri Dalem le Parisien semble avoir ici trouvé ses marques, et posé un peu sa patte de velours. Jusqu’à reprendre d’ailleurs un peu le goût à la création, et à réfléchir à certains projets en ce sens. « Je fais l’effort aujourd’hui de ne pas trop me projeter vers l’avenir, mais j’ai encore très envie de faire plein de choses dans le spectacle vivant. Je ne sais pas où je serai dans 20 ans, je sais en revanche que je ne serai sans doute plus directeur des Pénitents, car je crois qu’il est très important de partir au bon moment. En attendant, je mesure ma chance de travailler avec des gens qui me font confiance. »


En dates :

1984 : naissance d’Henri Dalem à Paris

1998 : entrée en prépa littéraire et en fac

2001 : entrée au cours Florent

2003 : création de son premier spectacle avec sa propre compagnie

2005 : premier cachet rémunéré

2017 : arrivée aux Pénitents à Montbrison

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