Les quatre fantastiques

Livres / Les lauréats du Prix Rhône-Alpes du livre sont désormais quatre. En plus des habituelles distinctions pour l'essai, la littérature et la traduction, l'édition 2007 a en effet attribué le premier Prix Jeunesse de son histoire. Yann Nicol


Les lecteurs les plus courageux commenceront, soyons en sûrs, par le livre d'Yves Citton, universitaire grenoblois récompensé par le Prix Essai pour une étude sur Spinoza intitulé L'Envers de la liberté et sous-titrée L'Invention d'un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières. 592 pages sur un philosophe hollandais du XVIIe siècle, ­­­­on reconnaît que, a priori, ce n'est pas très sexy. Et pourtant, la présentation qu'en a faite l'auteur lors de la remise des prix nous a franchement donné envie (si, si!), tant ce travail semble s'inscrire dans une volonté d'interroger cette pensée majeure de l'histoire de la philosophie en la mettant en perspective avec notre temps. Ceux que cette épreuve stimule moyennement pourront se tourner vers une lecture beaucoup plus brève et savourer l'album (quelques pages seulement et aucun mot !) de Camille Jourdy, première lauréate du Prix Rhône-Alpes Jeunesse pour Peau d'ours. Car l'histoire cruelle de ce petit ours rose transformé en un ensemble «chapeau, moufles et bottes» qu'arbore fièrement un cyclope inquiétant est un petit bijou de beauté, d'intelligence et de perversité qui ravira un public de tous les âges, et pas seulement les bambins. Merveilleusement édité en sérigraphie chez l'éditeur suisse Drozophile, ce singulier et subversif petit livre rose est un choix qui montre aussi l'audace d'un jury qui désignait cette année sa première lauréate. Le ton est donné !John Berger, l'exempleOn souhaite à la jeune et prometteuse Camille Jourdy une carrière aussi riche que celle de John Berger, qui a été primé par le Prix Littérature pour D'ici là (L'olivier), son dernier récit, mais aussi pour l'ensemble de son (immense) œuvre. Octogénaire, l'auteur anglais installé depuis plus de trente ans en Haute-Savoie fait preuve d'une énergie créatrice et d'une force de vie absolument admirables. D'ici là, sorte de requiem adressé à tous ceux qui ont compté dans la construction de son identité (la mère, l'ami, le professeur, l'écrivain...) est une subtile et bouleversante autobiographie en creux et en fragments. On y retrouve l'extraordinaire souffle de liberté qui traverse l'œuvre et l'existence de cet écrivain globe-trotter, poète, essayiste, critique d‘art, scénariste, journaliste qui est à la fois un grand artiste et un précieux penseur. Des lettres britanniques, il est aussi question pour le Prix Traduction puisque Claude et Jean Demanuelli (qui travaillent à quatre mains) ont été primés pour leur traduction du dernier livre de l'écrivain anglais d'origine pakistanaise Nadeem Aslam, La Cité des amants perdus (Seuil). Un roman poétique et grave retraçant le destin d'une famille musulmane immigrée dans une banlieue du nord de l'Angleterre, écartelée entre les traditions et la modernité dans lequel se dessinait, en filigrane et avec une grande subtilité, une réflexion profonde sur les clivages entre Orient et Occident.


<< article précédent
Le temps qu’il fait