Onirisme mon amour

Deux esthètes lunaires se disputent la faveur des écrans pour y dévoiler leur imaginaire fécond. Des rêveries post-adolescentes entre improbable, grotesque et fantaisie soluble dans la matière narrative. FC


Pour son premier long-métrage sans Charlie Kaufman, son scénariste névrosé attitré, Michel Gondry se réfugie une nouvelle fois dans le confort d'un univers visuel en roue libre. Son alter ego, Stéphane Miroux (Gael Garcia Bernal), se pose vite comme l'archétype de l'éternel ado, réfugié dans ses assoupissements fréquents, encore incapable - de fait - de mener sa vie à bien. C'est ce flou entre vision fantasmée et “réalité“ que Gondry explore le plus volontiers, quitte à faire sombrer son film dans une redite pas forcément déplaisante, pour peu qu'on souscrive à sa poésie bricolée avec un indéniable savoir-faire. Si sa tendance à tourner en rond peut lasser, si les saillies grossières de Chabat (étrangement crédible en gros lourd) laissent de marbre, La science des rêves séduit néanmoins par sa singulière humilité, par son habileté à fuir le romantisme pour mieux y tomber. On acceptera à ce titre sa conclusion en triste queue de poisson, étonnante synthèse en négatif du cheminement psychologique de son héros, lui donnant une substance inattendue. Kitsch not deadEncore plus déphasé, Pott, le héros de Citizen Dog, promène sa gueule constamment ébahie dans une Bangkok surréaliste, tirée d'une carte postale ringarde aux couleurs criardes. Wisit Sasanatieng, déjà auteur du superbe western mélo Les Larmes du Tigre Noir, crée de toutes pièces un monde parallèle fondé sur une maxime surfaite («plus tu cherches une chose et moins tu la trouves»), amenée à être auscultée sous les angles les plus absurdes. Le réalisateur s'autorise tous les écarts narratifs imaginables, tous les sursauts esthétiques dictés par sa logique chaotique. Comme dans La science des rêves, l'imaginaire survolté s'intègre de force comme le moteur du récit, mais son acceptation résolue conduira les héros (comme les personnages secondaires – mention spéciale à l'extraordinaire ours en peluche dépressif) à une issue heureuse, en bonne osmose avec la magnifique candeur générale. On pourrait arguer de la tendance irréfutable de l'auteur à s'égarer dans les méandres a priori infinis de ses sous intrigues, de sa propension à développer de nouvelles pistes pour les abandonner quasi illico, mais le plaisir continu ressenti à la vision de Citizen Dog efface la moindre volonté de chercher la petite bête. Si Gondry enferme bizarrement son personnage dans le poids de ses fantasmes pour justifier son inadaptabilité, Sasanatieng contamine toutes les strates sociales et élève la folie au rang de norme. Doux rêveurs, choisissez votre camp !La science des rêvesde Michel Gondry (Fr, 1h45) avec Gael Garcia Bernal, Charlotte Gainsbourg...Citizen Dogde Wisit Sasanatieng (Thaïlande, 1h30) avec Mahasamut Bunyaraksh, Sanftong Ket-U-Tong...


<< article précédent
Sous le signe de l’Hexagone