La femme d'à côté

Théâtre / Une scénographie épurée, une violoncelliste campant avec étrangeté les vertiges évoqués, et une Pascale Henry donnant une chair trouble aux écrits d'un jeune Aragon, cette Femme Française distille un fin malaise qui vous taraude à satiété. Rencontre avec l'instigatrice de ce tour de force théâtral. Propos recueillis par François Cau


Comment avez-vous décelé la théâtralité du texte original ?Pascale Henry : Ce texte vient d'un recueil de jeunesse d'Aragon, Le Libertinage, dans lequel je me suis replongée récemment. Je suis restée sous le choc de la lecture de ce texte en particulier, j'ai trouvé l'écriture magnifique, d'une audace incroyable dans sa façon de remuer l'amour, de s'interroger sur le désir, des questions par ailleurs très présentes dans mon travail. Ce qui m'a épaté, c'est que c'est un homme de 24 ans qui écrit ces pages saisissantes sur les errances, sur ce qui peut avoir lieu dans le corps d'une femme, d'une façon qui n'est plus tellement explorée aujourd'hui. C'est un espace qui rend grâce à cet aspect, de manière inquiétante, effrayante, exigeante, insolente, et en même temps qui présente une quête amoureuse qui ne se résume pas à un seul trait. Tout la plaisir de la métaphore théâtrale est de sonder le réel ; ce texte semble être une correspondance épistolaire mais ce n'est pas vraiment cela, chaque espace entre les paragraphes laisse sentir la présence de l'autre, et cette écriture vraiment risquée, c'est purement théâtral.L'idée d'un double "musical" s'est imposée tout de suite ?Le secret de ce texte, c'est qu'il ne s'agit pas d'une femme qui pense, mais d'une femme qui est pensée, par l'expérience charnelle des choses. On entre en résonance avec le théâtre, jouer ce n'est pas penser sur scène, c'est être joué par le texte, offrir le corps de l'acteur au texte. Aragon parle d'une voix intérieure qu'il entend, qui l'effraie : la vision de cette femme dont il parle, qui lui fout les jetons et qu'il aime, j'en suis sûre. C'est cette écoute, cet éprouvé de départ que j'ai confié à la violoncelliste. C'est un instrument à taille humaine, très proche de la voix parlée, qu'on tient contre soi, entre ses jambes, qui rappelle que la musique et le corps viennent avant la parole.Le texte tourne autour d'une aventure érotique dont vous faites le centre de cette mise en espace, sans interaction sonore.C'est ce que je dis dans la note d'intention : il me semble que c'est un texte qui n'est pas convenable... Aragon a dit «J'aimerais rencontrer une femme de propos délibéré», il évoque à la fois la chose charnelle et une femme de parole. C'est en ce sens que c'est dérangeant, cette femme ose tout dire à son amant, comment un homme peut-il supporter ça ? Et elle ne peut se défaire de ces rencontres avec d'autres, parce qu'elle y distingue quelque chose de son amour pour lui, c'est «la fidélité totale dans la clarté de passage». Je pourrais passer deux mois à ne travailler que sur cette phrase...La Femme Françaisejusqu'au 29 janvier, au Théâtre 145


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