GRENOBLE, LA NUIT MAUDITE ?

CINÉMA / Dans un élan de gentillesse promotionnelle, les cinéastes français reconnaissent volontiers à Grenoble un cadre propice aux épanchements visUEls. Si l'on se fie aux productions tournées ici ces trente dernières années, la nuit grenobloise est-elle cinématographiquement glamour ? Pas sûr. FC


Détournant méchamment l'adage "putain que c'est beau une ville la nuit", on peut dire que le 7e art n'a pas spécialement enjolivé les nuits grenobloises. Si l'on remonte à la fin des années 70, on s'aperçoit avec stupeur que l'insécurité n'a pas attendu la fracture sociale pour valser de son spectre arrogant. Dans L'amour violé (1977, Yannick Bellon), une pauvre infirmière se fait prendre de force par quatre individus malfaisants dans une ruelle grenobloise, et n'aura de cesse de les confondre en justice. Quatre ans plus tard, l'odeur de stupre ne s'est pas apaisée. Dans Les Filles de Grenoble, nanar mou du genou romançant les "événements" dont il s'inspire éhontément, des prostituées décident de faire tomber un réseau de proxénètes après le meurtre de l'une d'entre elles. La même année, à quelques rues à peine, Truffaut filme l'amour fou qui aura raison de Fanny Ardant et Gérard Depardieu dans La femme d'à côté. Même si ce dernier essai s'avère plus que convaincant, Grenoble n'en sort pas forcément grandie. On peut toujours se rassurer avec le sympatoche Clara et les chics types de Jacques Monnet, où la bande du Splendid s'éprend d'Isabelle Adjani en kiffant la Grenoble 80's vibe. Jusqu'ici, tout va malDans les années 90, tout s'emballe. Dans Les Mauvaises Fréquentations, Jean-Pierre Améris nous dévoile une jeunesse grenobloise carrément désœuvrée, occupant ses nuits à draguer au Leader, à gueuler «JE VOUS EMMERDE TOUS» en haut de la Bastille, ou à se prostituer pour pouvoir se payer un voyage en Jamaïque. Quant au campus, si l'on en croit Les Rivières Pourpres de Mathieu Kassovitz, il est infesté de savants savoyards consanguins prônant l'eugénisme. Dans sa trilogie tournée ici, Lucas Belvaux en rajoute une couche dans la peur nocturne : des terroristes communistes évadés se cachent dans des garages glauques, des deals foireux se trament sous les portes cochères... Interrogé sur le choix de la ville comme lieu de tournage, Belvaux répondait : «Sociologiquement, c'est une ville qui se prêtait justement à toutes ces histoires parallèles. On dit que c'est la ville la plus intelligente de France parce plusieurs milliers d'ingénieurs s'y sont installés ces trois dernières années. Il y a de nombreuses entreprises de haute technologie. Il y a des facs, des laboratoires de recherche. En même temps, il y a des banlieues très rudes où il se passe des choses tous les étés (sic). Il y a une présence effective du milieu très importante, historique. Et puis il y a aussi un passé politique important. C'est donc vraiment une ville où étaient possibles toutes les histoires de la trilogie. C'était peut-être la seule en France». Et dans un film américain encore inédit, Andre, Heart of the Giant, un jeune grenoblois souffrant de gigantisme préfère fuir la ville pour assumer son handicap. Le message est tristement clair : fuyez à toutes jambes cette cité maudite avant qu'il ne soit trop tard...


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