Graine de cinéaste


Biographie / Abdellatif Kechiche n'est pas un “jeune” cinéaste, bien qu'il réalise avec La Graine et le mulet son troisième long métrage “seulement”. Kechiche vient d'avoir 47 ans, et c'est avant tout en tant qu'acteur que le cinéma l'a repéré, dans un des premiers films à s'intéresser à la question des Français d'origine maghrébine : Le Thé à la menthe d'Abdelkrim Bahloul. Oublié aujourd'hui, ce joli film sera remarqué par André Téchiné qui proposera à Kechiche un rôle aux côtés de Sandrine Bonnaire dans Les Innocents, un mélodrame tragique sur le racisme, pas exempt de maladresses sur la question. Est-ce la raison pour laquelle Kechiche décide ensuite de passer derrière la caméra, et de brosser, film après film, un portrait fidèle, respectueux et néanmoins sans concession de ce morceau de France si souvent caricaturé par les politiques et les médias ? Le sans papier de La Faute à Voltaire, les gosses de banlieues de L'Esquive et aujourd'hui les ouvriers dans la dèche de La Graine et le mulet ont en commun une même dignité et une même énergie, pulsion de vie qui tantôt renverse les obstacles, tantôt s'y brise. Chez Kechiche, la dialectique individu / société n'est pas résumable en quelques formules faciles : le déterminisme social est puissant et tout le monde doit à un moment s'y plier ; mais la famille, l'amour et l'amitié sont comme un rempart pour y faire face. Les fins, souvent tragiques, des films de Kechiche laissent à penser que cet espoir est une illusion nécessaire. Mais la vitalité qui circule dans les plans contredisent ce pessimisme. Comme si le présent des personnages s'écrivait dans la joie, pour mieux oublier que le futur, lui, n'est fait que de douleurs. À ce titre, La Graine et le mulet est un aboutissement. Cela peut paraître curieux quand on se souvient du triomphe de L'Esquive (pluie de Césars et de prix, relatif succès public) ; mais à la DV tremblante et ingrate du film précédent, Kechiche substitue un beau 35 mm remarquablement éclairé par le chef-op' français du moment, Lubomir Bakchev, et réussit le tour de force de donner un souffle hors du commun à cette fresque intime et subtilement politique. Kechiche s'y affirme comme un digne descendant de ces cinéastes qui transcendent le réel : Maurice Pagnol, Maurice Pialat et surtout Jacques Rozier. CC


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