"Terre océane" : le temps qui reste

Spectacle à la beauté plastique indéniable, "Terre océane" surprend en convoquant sur scène nos émotions les plus enfouies sans jamais tomber dans l'étalage malsain ou voyeuriste, grâce notamment au texte évocateur et épuré de Daniel Danis.


Proposition théâtrale forte cette semaine à la MC2. La metteuse en scène Véronique Bellegarde, vue l'année dernière aux commandes de L'instrument à pression de David Lescot, s'est intéressée au texte Terre océane de Daniel Danis, dramaturge québécois dont on avait déjà pu apprécier l'écriture en octobre à l'Espace 600 avec Kiwi (un spectacle jeune public subjuguant, conçu et mis en scène par Danis lui-même). Dans Terre océane, on retrouve les thématiques récurrentes développées par l'auteur, et notamment ce besoin de créer des liens avec une famille de cœur plus que de sang, pour se protéger d'un monde extérieur violent et déshumanisé.

Gabriel a dix ans. Atteint d'un cancer incurable, il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Sa mère adoptive, incapable de faire face à cet ultime défi, décide de le renvoyer à son père adoptif, qui se retrouve de facto chargé de l'accompagner vers l'inconnu. A l'abri d'une terre ivre qui poursuit sa course frénétiquement en ignorant la souffrance de ce tout petit bonhomme, le père et le fils partiront se réfugier chez l'oncle Dave, au fond des bois ; loin de tout, dans ce monde infini hors du temps où l'urgence d'être ensemble une dernière fois se fait moins pesante…

De neige et de glace

Comment figurer sur scène ces grands espaces naturels par nature irreprésentables ? Véronique Bellegarde fait le pari de l'abstraction visuelle, avec un décor de cubes d'un blanc pur que la lumière se charge d'habiller. En fond de scène, les murs et les paravents deviennent des écrans de projection pour des prolongements photo et vidéo réalisés par Xavier Lambours. Et la création musicale de Médéric Collignon, cornettiste habitué des scènes de l'agglo, tranche avec la gravité du propos initial.

Car ici, même s'il est question de la mort d'un enfant, thème a priori tire-larmes à souhait, jamais le discours ne se fait accablant. Les quatre comédiens (trois pour interpréter les personnages principaux, et une narratrice multifonctions) sont d'une justesse de ton appréciable, loin du mélo théâtral auquel on aurait pu s'attendre. Passé l'étonnement de la découverte de la proposition (le jeu de Gérard Watkins, presque "antinaturel", rappelle qu'il a longtemps travaillé avec Claude Régy), on plonge à corps perdu dans cette Terre océane, s'abandonnant pleinement au récit, et se surprenant même à mouiller de l'œil lorsque la fin (attendue mais redoutée) clôt ce conte humaniste et généreux. On ne se savait pas si sensibles.

Terre océane, jusqu'au samedi 30 janvier, à la MC2


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