L'âge de raison

SPECTACLE/ Cette année, le Festival de la marionnette nous surprend avec une programmation faisant la part belle aux propositions percutantes et aux compagnies passionnantes. On valide. AM


Depuis 2004, l'association La Petite Roulotte organise le Festival de la marionnette à Grenoble, dans l'agglo, et même dans tout le département. Avec toujours l'envie de surprendre et d'intriguer le public. Un public que l'équipe souhaite encore plus large, contrecarrant au passage l'idée d'un art marionnettique désuet et réservé seulement à une certaine tranche d'âge. Car, que ce soit avec des propositions variées ou des formes de spectacle originales (les repas-spectacle le midi par exemple), La Petite Roulotte essaie de s'adresser à tous, comme elle le démontre cette année avec une programmation solidement ficelée, notamment pour les adultes. On retrouvera ainsi Le Théâtre Élabore, avec la version longue de leur spectacle Chut… déjà présenté l'an dernier : soit une réflexion sur le genre sexuel et l'hermaphrodisme à l'aide d'une statue que trois personnages en bleu de travail construisent sur scène. Le spectacle Faim de loup, déjà présenté la saison dernière à l'Espace 600 (critique sur notre site web), sera aussi repris lors du festival. Et deux soirées, dont la première concoctée par la Cinémathèque, le Méliès, le 102 et Dolce cinéma, seront consacrées au cinéma et à son rapport à l'animation et la marionnette.

Ma philosophie

Mais plutôt que d'effectuer ici un inventaire à la Prévert des différents spectacles, on préfère s'enthousiasmer littéralement pour deux compagnies. Les Québécois du Théâtre du sous-marin jaune d'abord : avec Les Essais, d'après Montaigne, ils ont créé une perle associant marionnettes, cinéma et théâtre. Et mettent ainsi en scène la vie mouvementée de Montaigne dans un film muet interprété par des marionnettes originales (dont un loup bleu haut en couleur), qui prennent de la voix par l'intermédiaire de véritables comédiens présents sur le plateau. Le spectacle se transforme alors en une fable épique et philosophique, nourrie d'anachronismes et d'ironie. Les Anges au plafond ensuite : en plus du Cri quotidien, forme courte parodiant la revue de presse, le duo de marionnettistes Camille Trouvé et Brice Berthoud dévoileront lors du festival leur diptyque sur les mythes formé d'Une Antigone de papier et d'Au fil d'Œdipe. On avait déjà pu apercevoir le premier dans l'agglo il y a deux ans : un véritable bijou d'intelligence conçu par deux artistes ayant un sens aigu de ce que doit être le spectacle vivant, notamment lorsqu'ils s'attèlent à réinterpréter des mythes vieux de 2500 ans (article sur notre site web).

« De la matière à rêver »

« On s'est amusés à dire "défroisser le mythe" pour Antigone, et "démêler le mythe" pour Œdipe. C'est un clin d'œil aux matières que l'on a choisies pour raconter ces histoires : d'une part le papier, et d'autre part le fil » nous explique Camille Trouvé. « Au-delà de ça, il y a l'idée de se réapproprier ces histoires qui nous parviennent d'une lointaine antiquité. On se demande ainsi où seraient Antigone et Œdipe aujourd'hui ? Et qu'est-ce qui les rend encore si proches de nous ? Ils parlent de notre quotidien, de notre humanité… D'où notre envie de les placer dans notre monde contemporain. » Tout en restant dans l'évocation : « c'est vrai que l'on est dans la sphère poétique. Même quand on parle de problématiques contemporaines comme le mur dans Antigone, on est sur un imaginaire collectif, sans citer ni le mur de Berlin, ni celui entre Gaza et Israël. On veut que cela reste de la matière à rêver qui permette de s'échapper… D'ailleurs, on a essayé de retrouver un monde imaginaire avec des références à l'antiquité, mais sans travailler autour de tout ce que l'on connaît de la tragédie classique : les codes vestimentaires, visuels… On a voulu complètement réinventer un langage fait de papier, de couleurs ocre, jaune et rouge. Tout un monde transposé qui fait que l'on ne sait pas où l'on se situe exactement. » Après s'être intéressés à la fille, ils dévoileront donc leur seconde création, centrée sur la figure d'Œdipe. Au vu du quart d'heure d'extraits que l'on a pu visionner, le rendu promet d'être tout aussi percutant. Ce zoom accordé aux Anges au plafond apparaît donc comme le temps fort d'un festival attachant.

FESTIVAL DE LA MARIONNETTE
Du 26 février au 15 mars, dans différents lieux de l'agglo.


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