New York Doll

Increvable poupée rock et icône de la scène new-yorkaise des années 70, Debbie Harry de Blondie gratifie le festival Musilac (en Savoie) de son unique prestation française. Une bonne nouvelle pour les fans, surtout quand on songe qu'à 68 ans, l'ex-petite fiancée de la new wave n'a (presque) rien perdu de sa mythique aura. Stéphane Duchêne.


Sans doute, Debbie Harry aura-t-elle été la première à introduire une dimension ostensiblement féminine dans un univers rock et punk où l'androgynie était la seule véritable réponse connue à la virilité. Au point que quand les hommes s'habillent en femmes ou se maquillent (Bowie, New York Dolls, Lou Reed), revendiquent homo ou bi-sexualité, voire leur asexualité (la bande du CBGB, club new-yorkais), les femmes (Patti Smith, Joan Jett, on en passe...) effacent toute trace de féminité.

Debbie Harry, elle, est Blondie, créature inspirée des pin-up et des actrices des années 50, Marilyn en tête. Sublimation de la féminité mais d'une féminité qui n'abdique pas le féminisme de ses consoeurs. La barbie Blondie n'est pas une poupée, c'est une marionnettiste dont le charme vénéneux est la principale ficelle : femme fatale brûlante à l'extérieur mais d'une implacable froideur à l'intérieur. La recette idéale pour rendre fou le premier mâle venu.

Debbie

Il faut dire qu'en 1976, quand Blondie, le groupe, connaît, à l'aube du punk, ses premiers succès, Debbie a pas mal bourlingué et déjà 31 ans. Un âge auquel une poignée d'idoles a déjà passé l'arme à gauche (à commencer par Janis Joplin) ou pris sa retraite. Une poignée de punkettes, à commencer par Poly Styrene (16 ans) ou Ari Up (14 ans) pourraient même quasiment être ses filles. D'où peut-être qu'en six ans, entamés sur la scène cradasse et exiguë du CBGB, et six albums, Debbie et son alter ego Chris Stein vont tout bouffer sur leur passage, à la vitesse d'une météorite. Blondie, demeurant le seul exemple à ce jour, avec The Clash, de goinfrerie musicale tous azimuts, entre punk et disco, pop, doo-wop et hip-hop, new-wave et ska, à coups de singles tueurs : X-Offender, Rip her to shreds, Denis (adaptation du Denise de Randy & the Rainbows), Hanging on the Telephone (chipé aux Nerves), Heart of Glass, Sunday Girl, Union City Blue, Atomic, Call Me, The Tide is High (reprise des Paragons), Rapture...

Mais loin de n'être qu'un groupe à singles, un coup d'un soir, Blondie, qui mélange la fausse superficialité de l'ex-Bunny Girl Debbie et la profondeur du rock cérébral cher à Chris Stein – il a joué en première partie du Velvet débutant – incarne la quintessence de tout ce que New-York a engendré de courants musicaux et de tendances esthétiques : du CBGB au Max's Kansas City – où Debbie fut serveuse avant d'en être la star – du Brill Building à la disco du Studio 54, de Warhol aux New York Dolls. Bref, dans toute leur splendeur : la Grosse Pomme et les multiples vers (luisants) qui la grignotent pour mieux la faire briller.

En ce sens, la bande à Debbie est peut-être le plus new-yorkais de tous les groupes de rock de l'histoire. Et, pour ce qui est des grands formats, laissera derrière elle au moins un chef d'oeuvre et demi : Parallel Lines et Eat to the Beat. Lequel marque le début de la fin pour le groupe : après le moyen Autoamerican, le groupe fait une pause, notamment pour permettre à Debbie d'enregistrer un album solo. Le retour avec The Hunter ne sera guère convaincant. Dans sa recherche stylistique, Blondie qui savait tant flairer les tendances, comme lorsqu'il faisait appel à Giorgio Moroder pour Call Me, s'égare. Le single calypso Island of Lost Souls peut s'entendre comme le symbole d'un collectif qui a perdu le nord et une partie de son âme.

Maria

Pendant ce temps, les tensions s'accumulent, notamment autour d'une inévitable polarisation médiatique sur l'iconique Debbie. Pire encore, Chris Stein attrape une saloperie dermatologique potentiellement mortelle, le pemphigus, qui oblige le groupe à tout arrêter, alors même que leur manager a disparu avec la caisse et laisse tout le monde sans un sou. Pour Debbie Harry, malgré la chanson phare du film Scarface, Rush Rush, s'ensuit une carrière solo dispensable et beaucoup plus de rôles au cinéma qu'on ne le croit (même si moins, et moins bien – à part le Videodrome de Cronenberg –, qu'elle ne l'aurait mérité).

Le groupe tentera ensuite plusieurs come-back dont l'un en 1998, avec pour principale – et unique – réussite un single immortel baptisé Maria. Rebelote en 2011, avec Panic of Girls, passé quelque peu inaperçu. Et pour cause, si la voix de Debbie est intacte – magie du studio –, la chose n'a pas grand intérêt et on se serait bien passé d'un ou deux dérapages reggae et/ou polyglottes, dont une étrange reprise de …Beirut.

De la même manière, on peut se demander ce qu'une femme comme Debbie Harry – qui n'a plus rien à prouver et chantait jadis « Die young stay pretty » – peut avoir à gagner à monter encore sur scène à près de 70 ans ; à part, sans doute, de l'argent et l'opportunité hasardeuse d'écorcher son mythe. Et puis l'on se dit qu'on ne voit pas pourquoi cela devrait être réservé aux vieilles ganaches permanentées de la variété ululante ou aux vieux mâles dominants confits dans la quête de l'éternelle jeunesse. Car, à l'âge qui est le sien, Debbie Harry reste quoi qu'on en dise une personnalité rock'n'roll et sans complexe qui démontre qu'il n'y a pas besoin de mourir jeune et de figer son image pour rester « pretty ».

Blondie, vendredi 12 juillet à 18h05, au festival Musilac (Aix-les-Bains, Savoie)

Stéphane Duchêne


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