Insaisissables

Un piteux exercice de manipulation, hypocrite et rutilant, avec un casting de luxe que Louis Leterrier n'arrive jamais à filmer, trop occupé à faire bouger n'importe comment sa caméra. Nullissime. Christophe Chabert


De son apprentissage chez EuropaCorp comme yes man pour les scénarios torchés à l'arrache par Luc Besson, Louis Leterrier a visiblement retenu plusieurs leçons, toutes mauvaises : d'abord, confondre montage et rythme, mouvements incessants de caméra et retranscription de l'action. Il faut voir l'introduction d'Insaisissables, sorte de bouillie filmique d'une laideur visuelle à pleurer de dépit, pour saisir l'étendue du désastre. Aucun élément ne semble attirer le regard de Leterrier : ses plans n'enregistrent rien, s'annulent les uns les autres et chaque présentation d'un des magiciens se fait dans une hystérie de vulgarité putassière là encore bien bessonienne : les filles se foutent à poil — un peu — mais le sexe n'a jamais lieu, et lorsque le mentaliste de la bande hypnotise un couple, c'est avant tout pour fustiger l'infidélité du mari.

Là où Insaisissables devient franchement insupportable, c'est quand ce grand barnum que l'on peine à qualifier de mise en scène finit par atteindre le casting lui-même, pourtant prestigieux. Leterrier ne s'intéresse absolument jamais à ces acteurs, ne leur donnant aucun espace pour jouer, les filmant à moitié dans l'obscurité ou carrément de dos, puis passant l'ensemble au hachoir d'un montage épileptique. Ainsi, lorsqu'il s'autorise un plan-séquence, ce n'est pas pour le plaisir de réunir dans le même cadre Jesse Eisenberg, Morgan Freeman, Woody Harrelson et Mark Ruffalo, mais pour envoyer sa caméra faire des loopings dans un gigantesque théâtre de Las Vegas.

L'illusion d'un discours

Dès lors, ne reste plus que le concept du film, à savoir des manipulations en série se déclinant en trois shows spectaculaires que les «quatre cavaliers» exécutent pour un mystérieux cinquième magicien, sous les yeux de deux agents, l'un officiant pour le FBI, l'autre pour Interpol. Soit l'alliance entre un programme annoncé dès les premières minutes et un scénario à twists, certains largement devinables à l'avance, d'autres sortant tel le lapin du chapeau — mais derrière l'illusion ne se cache qu'un médiocre brainstorming d'auteurs en surchauffe.

Le script tente de faire de cette bande de magiciens braqueurs des robins des bois modernes, qui prennent l'argent des riches pour les redistribuer aux pauvres. Le modèle français contre le libéralisme sauvage américain ? Trop facile… Pas la moindre conscience sociale dans la démarche de Leterrier : ici, l'argent tombe du ciel, fait gonfler les comptes en banque, comme si tout — Katrina, la dérégulation des marchés — pouvait se régler d'un simple trait comptable. Surtout, le film baigne dans sa propre rutilance, exhibant son budget — énorme pour ce qui n'est dans le fond qu'une série B — et sa fascination pour le pognon, tuant dans l'œuf toute portée politique.

Dernier relent de sa période bessonienne, Leterrier semble mixer sans complexe deux opus de Christopher Nolan pour les transformer en divertissement inconséquent : Le Prestige et Inception. Mais là où Nolan s'approchait au plus près de ce qui constitue sans doute sa seule obsession d'auteur — la place de la manipulation dans le processus de fabrication d'un film, et la tristesse qui va avec le dévoilement de cette illusion — Leterrier ne fait que du fun pour le fun. C'est l'inverse qui se produit : l'indifférence l'emporte devant ce produit cynique et opportuniste.


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