Gravité sur la rentrée ciné

Après un été en demi-teinte, les quatre prochains mois devraient confirmer le cru exceptionnel de cette année 2013. Avec les locomotives cannoises et une pléiade d'auteurs dont on trépigne de découvrir les nouveaux opus, la rentrée est en effet salement musclée. Christophe Chabert


Après le marteau-piqueur estival qui faisait résonner semaine après semaine le même air connu fait de blockbusters, d'animation pour gamins décérébrés, de films d'auteur qu'on ne savait pas où mettre ailleurs et de comédies françaises dont tout le monde se fout, le cinéma reprend ses droits comme à chaque rentrée, avec des œuvres plus audacieuses et moins routinières. C'est évidemment le cas des deux gagnants du dernier Cannes, en l'occurrence La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche (9 octobre) et Inside Llewin Davis des frères Coen (6 novembre). Rien de commun toutefois entre le roman naturaliste sur les amours adolescentes déployé magistralement, trois heures durant, par Kechiche, et le vagabondage d'un folkeux dépressif et poissard dans l'Amérique des années 60 raconté en mode faussement mineur et vraiment métaphysique par les Coen. Rien, sinon une envie de pousser les murs du cinéma, en faisant imploser les limites de la durée d'un côté, et celles des structures scénaristiques de l'autre. En cela, ce sont les deux grands films insoumis de cette rentrée.

On espère pouvoir y adjoindre en cours de route le nouveau Bong Joon-ho, Snowpiercer (30 octobre), adaptation d'une bande dessinée française par le cinéaste de The Host, qui imagine un futur où ce qui reste de l'humanité se retrouve dans un train fonçant à toute vitesse à travers les glaces, les riches en tête de wagons, les pauvres derrière. Dans le même registre de superproduction ambitieuse et, on croise les doigts, intelligente, Gravity (23 octobre) marque le retour d'Alfonso Cuaron derrière une caméra cinq ans après la déflagration des Fils de l'homme. Son distributeur, Warner, a laissé filtré tout l'été de larges extraits de ce survival d'un genre nouveau où Sandra Bullock se retrouve perdue dans l'immensité spatiale ; le moins que l'on puisse dire est qu'ils donnent, au sens strict, le vertige.

Gravity fera écho au très beau deuxième film de J. C. Chandor, All is lost (11 décembre), qui lui aussi crée du spectacle en montrant le combat d'un homme seul face aux éléments – en l'occurrence un océan hostile. Robert Redford tient d'un bout à l'autre ce récit d'aventures qui peut se lire aussi comme une pertinente parabole sur la crise économique contemporaine.

Marathon men

Connaissez-vous David Gordon Green ? Sans doute pas – ou mal –, tant ses derniers films, commandes comiques sans envergure, ne reflètent pas le style de ce cinéaste discret, auteur de quelques magnifiques ovnis au début des années 2000. C'est ce Green-là qui est de retour avec Prince of Texas (23 octobre), malheureuse "traduction" française de Prince Avalanche, road movie à pied sur une route en construction entre Emile Hirsch et Paul Rudd. Green a depuis réalisé un autre film, Joe, avec Nicolas Cage, qui sortira sur les écrans au début de l'année prochaine. Une productivité qui n'a d'égal que celle de Steven Soderbergh, même si ce metteur en scène cher à notre cœur a décidé de mettre fin à sa carrière après Ma vie avec Liberace (18 septembre), formidable bio filmée de ce pianiste follement gay – l'occasion pour Michael Douglas de livrer une composition d'anthologie. La santé du film et sa science irrésistible de la narration nous poussent à prier pour qu'il revienne au plus vite sur sa décision.

Plus rapide encore, James Wan vient à peine de triompher avec son terrifiant Conjuring qu'il remet le couvert de son tout aussi effrayant Insidious pour un chapitre 2 (2 octobre) qui devrait le consacrer définitivement maître de l'horreur contemporain. Enfin, Alex De la Iglesia rejoint ses boulimiques de la caméra en optant pour le rythme soutenu d'un film par an : en 2013, ce sera Les Sorcières de Zugarramurdi (30 octobre), retour aux sources du fantastique après le chef-d'œuvre historico-baroque de 2010 Balada Triste.

Signatures internationales

Quelques belles signatures seront de la partie d'ici Noël, que ce soit Ridley Scott avec Cartel (13 novembre), thriller écrit par Cormac MacCarthy, ou Martin Scorsese, dont Le Loup de Wall Street (25 décembre) marque sa cinquième collaboration avec Leonardo Di Caprio. En France, les espoirs reposent sur Albert Dupontel et son 9 mois ferme (16 octobre) qu'on annonce dans la lignée grinçante de Bernie ou Enfermés dehors, et, dans une certaine mesure, Jean-Pierre Jeunet, dont le T. S. Spivet (16 octobre aussi) cherchera à retrouver le succès d'Amélie Poulain.

L'année se terminera avec un des meilleurs films vus à Cannes, A touch of sin de Jia Zhang Ke (11 décembre), récit multiple illustrant la violence qui gangrène les relations humaines en Chine, d'une ampleur visuelle impressionnante, mais aussi avec une grosse énigme : celle du dernier Lars Von Trier, Nymphomaniac (25 décembre et 1er janvier). Présenté en deux parties, le film promet du cul non simulé en quantité pour raconter l'histoire d'une nymphomane de son adolescence à son âge adulte. Certes, Guiraudie et Kechiche lui ont un peu grillé la politesse cette année, mais si le rusé cinéaste danois va jusqu'au bout de son défi, cela promet quelques cris d'effroi des puritains de tout poil. Qu'on nous pardonne ce calembour final douteux : à Noël, quoi de meilleur qu'un film de boules ?


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L’insolente jeunesse des vieux cinéastes