Conjuring : les dossiers Warren

Conjuring : Les dossiers Warren
De James Wan (ÉU, 1h50) avec Vera Farmiga, Patrick Wilson...

Même un cran en dessous de ses précédentes réalisations, "Conjuring" confirme James Wan comme le nouveau héros du cinéma de genre, capable de le prendre au sérieux et de lui rendre son essence terrifiante par une mise en scène fondée sur la suggestion et le sens de l’espace. Christophe Chabert

L’accueil dithyrambique réservé aux États-Unis par la presse comme par les spectateurs à Conjuring en dit assez long sur la frustration générale provoquée par le cinéma de terreur ces dernières années. On peut résumer ces réactions à une formule simple : enfin un film qui fait vraiment peur. On ne leur donnera pas tort, car Conjuring possède en effet des moments absolument effrayants, provoqués par des visions à vous faire dresser les cheveux sur la tête et une gestion de l’angoisse à déchirer ses accoudoirs. Le vrai prodige du film, cependant, réside dans le fait que James Wan n’y joue jamais la surenchère et se refuse à verser dans les scories récentes du cinéma d’horreur.

La mode du found footage, ces faux documentaires dont le bidonnage était tellement manifeste qu’il provoquait plus l’embarras que l’effroi, est même raillée dès le prologue, qui raconte une première enquête des époux Warren, chercheurs en phénomènes paranormaux, autour d’une poupée possédée par une force maléfique. Démarrée sur un classique entretien avec les victimes, poursuivie par un flashback reconstituant les événements, la séquence s’achève sur la projection desdites images devant un parterre d’étudiants, comme un vulgaire film amateur. La mise en scène de Wan, qui ne s’appuie que sur une grammaire de fiction classique basée sur la maîtrise du cadre et du montage, vient alors supplanter instantanément le modernisme faisandé de l’horreur pour petits malins filmée n’importe comment pour faire authentique.

Un classique de la peur

Conjuring s’inspire pourtant d’une histoire vraie survenue en 1971 : la famille Perron s’installe dans une grande demeure et ses membres sont progressivement débordés par des événements inexplicables et inquiétants. Les années 70 permettent avant tout à Wan de revenir à une certaine nudité de moyens : pas de vidéo, de portables ou d’ordinateurs pour véhiculer un suspense facile, mais une déconstruction méticuleuse de l’espace dont les règles sont posées dans les deux plans-séquences qui accompagnent l’installation de la famille.

Le premier tient en un zoom depuis l’intérieur de la maison jusqu’à la fenêtre où on aperçoit le couple et ses cinq filles déchargeant leur voiture, suivi d’un panoramique qui s’arrête au seuil de la porte, avec le chien qui refuse obstinément d’entrer. La caméra joue à la fois le rôle de la force menaçante qui observe sa proie et celui d’une frontière invisible pointant le lieu du mal — Wan connaît son Halloween par cœur. Le plan suivant, à l’inverse, accompagne une des enfants à travers la pièce de la maison ; James Wan fait visiter au public les lieux de l’action, lui demandant d’en mémoriser la géographie avant de le laisser errer par la suite dans le dédale d’où, évidemment, le danger peut sortir à n’importe quel instant de n’importe quel recoin.

Rien de révolutionnaire ici, mais c’est justement dans cette foi envers les vertus d’une mise en scène à l’efficacité toujours certifiée que réside le talent de James Wan. Comme dans Insidious, la minceur de son budget n’est pas un handicap, mais une logique esthétique qui conduit à foutre la trouille en en montrant le moins possible à l’écran : un ballon de basket, un placard, une boîte à musique ou un simple applaudissement, autant de données basiques qui, à l’écran, produisent une terreur maximale. La pénombre, les perspectives renversées, les lignes de fuite, la profondeur de champ ou son absence, et surtout le temps de montée de l’angoisse, transforment tout cela en un crescendo terrifiant.

Dieu, le Diable, tout ça…

Pourquoi alors Conjuring provoque une légère déception par rapport aux opus précédents de James Wan ? Sans doute parce qu’après une première partie quasi-parfaite, où le cinéaste conduisait magistralement son récit, s’autorisant même quelques autocitations — la marionnette envoûtée comme dans Dead silence, les pièges photographiques pour traquer l’entité, ancêtres de ceux d’Insidious — il s’engage ensuite dans un sous-genre nettement moins palpitant, celui du film d’exorcisme.

Là encore, ce n’est pas un hasard si Conjuring se déroule en 1971, trois ans après Rosemary’s baby de Polanski, et trois ans avant L’Exorciste de William Friedkin, soit à l’intersection entre la terreur en huis clos fondée sur la paranoïa et un certain scepticisme — Dieu est mort, mais qu’en est-il du Diable ? et l’approche frontale, clinique et réaliste d’un cinéaste pour qui seul le mal existe sur terre, quel que soit le nom qu’on lui donne. L’Exorciste invente le genre et le tue en même temps, tant il fait le tour de ses figures en lui adjoignant un regard personnel. Ainsi, le prêtre exorciste incarné par Max Von Sydow ne parle jamais de Dieu dans le film, et se contente de mettre en place le cérémonial en faisant face à ses propres démons intérieurs.

Les époux Warren de Conjuring ont en revanche une fâcheuse tendance à disserter sur leur foi, et si la famille Perron avoue son athéisme, c’est pour mieux se le voir reprocher par la suite. Wan paraît d’un seul coup moins pertinent quand il justifie par le dialogue l’existence de ses esprits frappeurs ; pire, il prend le risque de se rapprocher d’un courant aussi réactionnaire que dans l’air du temps où la religion est la solution à tous les maux.

Une idée, magnifique, prouve au contraire qu’il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il laisse planer le doute sur le degré d’hallucinations de ses personnages principaux : au cours d’un précédent exorcisme, Lorraine Warren a été confrontée à une vision qui l’a traumatisée. Quand son mari lui demande ce qu’elle a vu, elle refuse de le dire. Et lorsque Wan filme le flashback de la scène, il ne montre que deux regards hallucinés qui se croisent. Idée similaire dans le passage, extraordinaire, où Christine Epron voit dans l’ombre d’une porte une créature monstrueuse, mais qui n’apparaîtra jamais à l’écran.

Cette croyance dans la puissance suggestive de la mise en scène est la seule qui vaille au cinéma ; l’autre, avec son Diable et son bon Dieu, mérite de rester sagement agenouillée dans les églises.

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