Sortir de soi, avec Laura Vazquez
Roman / À la fois drôle et cruel, témoin lucide de nos petites et grandes absurdités : le dernier ouvrage OVNI de Laura Vazquez, "Les Forces", creuse le sillon d'une création inégalable.

Photo : Laura Vazquez © Elise Blotière
C'est un étrange immeuble qui pourrait rappeler au terrain de jeu d'Antoine de Saint-Exupéry, avant que son Petit Prince ne s'échoue sur la Terre. Une galaxie de petites planètes qui incarnent toutes, à leur façon, un vice, une absurdité du monde des Hommes. Dans Les Forces de Laura Vazquez, il s'agit d'un étrange immeuble, la SDUDUI : Les Sectes diverses unies dans un immeuble. À chaque étage, des êtres humains s'essayent à un mode de vie, de pensée pour se couper de la violence du monde, de leurs peurs existentielles. Il y a la secte du sommeil, qu'on dirait bien portée par un ténu raisonnement anticapitaliste. Mais pour être honnête, on y dort la plupart du temps. Il y a la secte de la faiblesse de Dieu (drôle à souhait) où l'on s'astreint continuellement à détruire toutes les traces de vanité humaine, en commençant par arracher à chacune et chacun leurs titres, au cœur de cercles de paroles étrangement satisfaisants. Il y a aussi la secte de l'absolue non certitude. Mais on n'est pas vraiment sûr(e)s qu'elle existe... Et d'autres encore, mais il ne faudrait pas vous gâcher le plaisir de les découvrir. C'est une déambulation foutraque que propose Laura Vazquez dans son dernier ouvrage, Les Forces. Le cadre est mouvant, la narration effrénée, investissant tour à tour l'absurde puis un réalisme dur, presque cynique, passant du glauque au particulièrement drôle avec une étonnante fluidité.
Divisé en cinq sections, s'articulant à chacune d'elle autour d'un mouvement du corps, Les Forces parcourt une existence qui est probablement celle de son autrice, célébrant des rencontres réelles ou inventées flânant dans des paysages à l'architecture presque onirique pour y distiller, avec toute la poésie du monde, des réflexions pas moins justes, qu'inattendues.
Imprévisible
C'est un peu cela, la littérature de Laura Vazquez : la surprise permanente. On aurait pu s'en douter, tant son parcours (qui débute d'ailleurs à Lyon) est hybride : poétesse, performeuse, dramaturge et militante multi récompensée : la jeune femme queer que les médias mainstream aiment à décrire avec des qualificatifs comme "icône" raconte évidemment quelque chose de sa génération et de ses combats ; mais pas seulement. Son travail englobe le monde, s'adresse à chacun, car en creux s'y déploie toujours un questionnement existentialiste vertigineux, une dissection de l'humain, de ses vices et de ses penchants, de son rapport aux autres, de son intériorisation de normes desquelles il semble incapable de se détacher. Il y a une certaine cruauté dans la littérature de Laura Vazquez, magnifié par une langue qui se métamorphose à chaque chapitre. Pour mieux en comprendre la musicalité, on peut d'ailleurs préconiser de lire Les Forces à voix haute, mais 304 pages, ça risque de faire long. Cette prose se parcourt lentement, demande d'imaginer ou d'incorporer le récit plutôt que de le lire, au risque de se couper d'une partie importante de sa force. Voici donc une invitation à découvrir cet ouvrage presque mystique doucement, mais sûrement.Â
Les Forces, de Laura Vazquez
Parution le 21 août 2025 aux Éditions du sous-sol ; 22, 50€