Pan, panache et panaché

Un peu électro, un peu rock et très poétique, le nouveau groupe grenoblois Pan brouille les pistes avec éclat. Après le Cabaret frappé cet été, il est au Prunier sauvage cette semaine. Rencontre avec Arash Sarkechik, le meneur. Propos recueillis par Léa Ducré


Arash Sarkechik. Son nom ne nous est pas complétement étranger. Emzel Café, Kalakuta orchestra, Shaady, Djemdi... : Arash Sarkechik n'est pas un nouveau venu sur la scène grenobloise. Son nouveau projet, baptisé Pan, s'inspire et se démarque de ses précédentes expériences.

Il y a deux ans, le groupe se forme sur l'impulsion du chanteur prolifique. « Je participais à des créations collectives depuis longtemps. Là, je voulais mener un projet plus personnel. Un projet avec tous mes langages. » Dessein ambitieux, le Grenoblois est un polyglotte musical : « Iranien d'origine », « flûtiste au départ », « de formation classique et jazz », « aux influences reggae, afro et groove ». Rien que ça.

Voix rocailleuse, musique râpeuse

Le tout est hétéroclite, voire disparate. Le premier EP du groupe est sorti en mai dernier. À chaque morceau, son genre. Accompagné de Didier Bouchet (Gnawa Diffusion) à la guitare et à la basse, et de Touma Guittet (Barbarins Fourchus) à la batterie, le chanteur compositeur prend la flûte, le clavier, et chante. Des tribulations entre rock, chanson française et électro qui prennent des détours orientaux. Un univers métissé, une ode au télescopage des influences. Quand on lui parle de « répertoire », il préfère évoquer le « cahier des charges »  qu'il s'est fixé : « De la poésie, du romantisme, des grandes envolées comme dans la musique classique. Quelque chose de râpeux aussi. » Charme de l'aigre doux porté par des arrangements percutants et une voix rocailleuse.

Pour l'heure, le groupe se concentre sur la préparation de son prochain concert au Prunier Sauvage.  L'occasion pour Pan de se mettre au monde une nouvelle  fois. Le groupe n'a donné pour l'instant qu'un seul concert, au Cabaret Frappé, l'été dernier. La prochaine date du 14 février a inspiré le chanteur compositeur. « J'ai envie de délirer. J'ai concocté un synopsis. Ce n'est pas juste une liste de chansons mais un spectacle en contre-pied à cette pseudo fête de l'amour. » Arash Sarkechic ne veut pas nous en dire plus. On mendie quelques pistes : « mystère », « noir total », « kitsch », « bordel ».

Pan, charme de l'ordre et du désordre

En deux mots, le chanteur résume ses objectifs : « Je veux y mettre de l'exigence et de la passion. » La « passion» : Arash Sarkechic répète le mot, insiste sur la première syllabe comme pour donner une idée de la puissance qui l'enrobe. Et sous ce trop plein passionnel, l'homme déborde. Feu d'artifice humain qui cause avec ses mains, Arash Sarkechic n'est pas toujours facile à suivre. Il l'admet volontiers dans un sourire qui brille comme une excuse.  « Quand je veux simplifier la donne, je fais écouter. C'est plus rapide, moins disparate. »

Pan ne s'effraie pas de son propre éclectisme. « Pourquoi faudrait-il à tout prix une cohérence ? » Le nom du groupe sonne comme une réponse. « Pan » : le dieu de l'ordre et du désordre dans la mythologie grecque. Roi du décousu qui cherche à s'amender, Arash Sarkechic se situe dans cet entre deux : il vise la cohérence mais cultive le chaos. Fascinant tumulte qui porte aux nues l'accalmie.

S'il a choisi Pan en référence au dieu grec, le musicien aurait pu ajouter à ce nom un Peter.  En honneur à son émerveillement, digne de Peter Pan. Dégaine rock-adolescente et sourire de gosse, le musicien averti garde l'enchantement perpétuel des enfants. Son rire sonne comme une grêle joyeuse. Son jeu préféré ? Celui de la création. «  La création, c'est la vie puissance 10 » s'exclame-t-il, le regard brillant. « Tu commences avec rien et à la fin de ton travail, tu as quelque chose : c'est magique ! » Du haut de ces trente-quatre ans, le flûtiste a percé le mystère de ce tour de passe-passe : « Dans toute création, il y a ce quelque chose d'impalpable : la poésie. »

Des textes à l'obsession

Le jeune créateur a hérité de son passé familial iranien et de ses peines de cœur, le goût des mots : « J'aime jouer avec eux, mettre l'un à côté de l'autre des termes qui n'ont rien à faire ensemble, leur donner du sens, provoquer des sensations. » Écrits ou « griffonnés » dans les camions, au fil des tournées, sur les routes, ses textes mêlent onirisme et précision. Chaque mot semble être le composant d'un alliage précieux, mystérieux. Les riffs aiguisant le tranchant des mots.

L'actualité, une pièce de Beckett ou le chant d'un rossignol : pour Arash Sarkechic tout est matière. Dispersé au premier abord, le chanteur compositeur fonctionne pourtant « à l'obsession ». « J'ai souvent une phrase ou un mot qui m'obsèdent. Je les triture. Je les prends sous toutes leurs formes. » Un exemple ? Il déclame dans l'instant « De l'amour et de la haine nous en avons vu la couleur. Nous en avons passé des heures l'un contre l'autre. L'un avec l'autre ».

Dans la mythologie grecque, Pan est aussi le dieu de la fertilité. Décidemment, le personnage artiste et monstre a des points communs avec le flûtiste grenoblois. Mister Pan est un boulimique de travail. Depuis des années, il cumule les projets. « Je ne me fixe aucune limite. J'ai la chance de faire plein de choses différentes. ». La création explose tout autour du chanteur volcanique. La pile électrique voudrait faire plier la confusion sous la profusion. L'éruption voltaïque mérite à elle seule le détour.

Pan, vendredi 14 février à 20h30, au Prunier sauvage


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