L'éternelle refusée

La vie est cruelle. Pourquoi tel artiste rencontre un succès phénoménal alors qu'un autre, tout aussi doué, peine à s'imposer. Oui, pourquoi Claire Diterzi, l'une des chanteuses françaises les plus originales et passionnantes, doit se contenter d'une carrière si discrète, alors qu'elle est au niveau, par exemple, d'une Camille ? En attendant de trouver une réponse, et avant son concert à la Source, on remonte le fil de l'histoire en chansons. Aurélien Martinez


Début des années 2000. Après deux expériences en groupe (Forguette Mi Note puis Dit Terzi), l'auteure-compositrice-interprète et guitariste tourangelle Claire Diterzi entame à trente ans une carrière solo. Sauf qu'elle bute sur l'exercice imposé du premier album – ce serait tellement plus simple de commencer par le deuxième !

En 2003, la demande du chorégraphe Philippe Decouflé (venir avec lui au Japon pour composer la bande son de sa création Iris) apparaît comme le bol d'air nécessaire. Sont présentes dans le spectacle (et sur le disque qui en découle) quelques chansons que l'on retrouvera sur Boucle, sa première livraison solo parue en 2006. Parmi elles, la très féministe À genoux, la subtile La Musique adoucit les mœurs ou encore une autre intitulée Infidèle, qui résume parfaitement ce qui anime Claire Diterzi, tant au niveau littéraire que musical. Dotée d'une guitare électrique, la chanteuse s'interroge sur ce qui fait le ciment de la relation amoureuse. Splendide.

« Si les tissus de ma peau se flétrissaient / Que les soies de mon visage se désagrégeaient / En silence serais-tu... / Infidèle, prenant ses jambes à ton cou ? / Infidèle, happé par le chant des sirènes ? »

Féministe

Boucle sort donc en 2006, avec de nouvelles compositions. Et installe alors l'univers original de Claire Diterzi. Ou plutôt les univers, tant des pépites aux mélodies puissantes côtoient des ritournelles plus douces, voire un morceau aux accents pop et orientaux (La Princesse arabe). La suite ? De belles retombées (des critiques élogieuses, un Grand prix du disque de l'Académie Charles-Cros, ...) mais pas de succès public.

Un succès pour lequel Claire Diterzi ne semble de toute façon pas prête à faire des concessions : après avoir composé la BO du film Requiem for Billy the Kid d'Anne Feinsilber (avec notamment une reprise marquante du Knockin' on Heaven's Door de Dylan), elle dévoile en 2008 Tableau de chasse. Si Boucle pouvait déconcerter avec son côté éclectique, Tableau de chasse va encore plus loin, loin du format classique du tube pour radio. Chaque titre est ainsi basé sur une œuvre d'art, avec forcément des ambiances très différentes.

« Je suis tour à tour une femme contemporaine en plein divorce, une vielle chanteuse de 80 ans au siècle dernier, une Barbie écervelée qui chante dans les clips de R'n'B… » nous expliquait-elle en 2009 à l'occasion d'un concert à la Rampe. La Barbie, elle l'est sur À quatre pattes, inspiré des sculptures de femmes-meubles de l'Américain Allen Jones. Tout est dans les paroles !

« À quatre pattes / Quand je me vois dans la glace / Dans mon string en strass / À chaque fois / C'est à quatre pattes que je trouve ma place. »

Révolutionnaire

Si Tableau de chasse connaît un succès plus important que Boucle, ce n'est pas non plus le nirvana. Qu'importe, Claire Diterzi continue son chemin. Avec Marcial Di Fonzo Bo, elle crée en 2010 Rosa la rouge, concert-spectacle centré sur la figure de la révolutionnaire Rosa Luxemburg. Une réussite éclatante, que l'on avait d'ailleurs mise en une du Petit Bulletin lors de son passage à l'Heure bleue.

Accueil dithyrambique de la part du monde du spectacle vivant (elle reçoit le prix du meilleur compositeur de musique de scène de la part du Syndicat de la critique), mais passage plus compliqué par la case studio, qui ne se comprend pleinement qu'avec le propos. Comme le morceau Je touche la masse, où elle fait de Rosa Luxemburg une passionaria pop façon Beyoncé armée d'une guitare en forme de kalachnikov.

« I got the power / Je suis la reine du pétrole / Appelez-moi Dieu ou Ta majesté / Je suis people et j'ai le monde à mes pieds / Bande de lâches et de couilles molles. »


Rosa La Rouge : les vidéos du spectacle par naiverecords

Battante

2013. Après une résidence à la prestigieuse villa Médicis (Rome), elle sort Le Salon des refusées, en référence au salon du même nom qui se tint en 1863 à Paris, avec les œuvres non admises par le jury du Salon officiel de peinture et de sculpture. « Le Salon des refusés marqua par sa grande modernité le début de la libération de la peinture, inacceptable pour la foule habituée au mauvais goût douceâtre des académiques » peut-on lire sur son site internet.

Il faut bien sûr y voir un parallèle avec son aventure italienne mouvementée, une partie des pensionnaires de la fameuse villa s'étant ouvertement opposée à la venue d'une artiste dite de variété (une lettre ouverte fut adressée au ministre de la culture pour dénoncer un soi-disant « désintérêt pour l'art non directement rentable au profit d'une production artistique qui, séduisante par essence, a la faculté de mettre tout le monde d'accord sans aucun effort »).

De cette aventure mouvementée ressortira un album apaisé où Claire Diterzi convoque une esthétique médiévale (avec l'utilisation notamment d'une viole de gambe) pour mettre en avant sa somptueuse voix, que l'on entend mieux que jamais. Comme la plus belle réponse à ses contempteurs d'un autre âge.

« Tu peux monter sur tes grands chevaux / Me condamner à l'échafaud / Je suis toujours debout / Tu ne m'as pas coupé les ailes / Au salon des refusées. »

Claire Diterzi, jeudi 20 février à 20h30, à la Source (Fontaine)


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