Deux jours, une nuit

Nouvel uppercut des frères Dardenne, qui emprunte les voies du thriller social pour raconter comment une ouvrière tente de sauver son travail en persuadant ses collègues de renoncer à une prime, et interroger ce qui reste de solidarité dans la société actuelle. Magnifique. Christophe Chabert


Lève toi et marche. Au premier plan de Deux jours, une nuit, Sandra (Marion Cotillard, formidable, se fond génialement dans l'univers des frères Dardenne, comme Cécile De France avant elle dans Le Gamin au vélo) émerge d'un sommeil médicamenteux et sort de son lit pour répondre au téléphone. C'est le film qui l'arrache de cette dépression dont on ne connaîtra jamais le motif mais qui est devenue la source de son malheur actuel : juste avant son retour de congé maladie, elle apprend qu'elle va perdre son emploi, le patron de son entreprise de panneaux solaires ayant choisi d'accorder une prime aux autres ouvriers contre le "départ" d'une des leurs.

Décision cruelle à laquelle Sandra refuse de se plier ; avec son mari Manu (Fabrizio Rongione), elle va aller à leur rencontre, tentant de les convaincre un par un de revenir sur leur vote. Les frères Dardenne suivent donc à la trace leur héroïne, toujours en mouvement ; elle encaisse les coups, trébuche, tombe, se relève, repart à l'assaut et se recharge avec les quelques rayons de solidarité qui lui donnent le courage de continuer.

Une femme en colère

Si le scénario paraît de prime abord programmatique, sorte de version sociale et à l'air libre de 12 hommes en colère, les Dardenne prouvent une fois de plus qu'ils sont de remarquables narrateurs en bousculant régulièrement leur dispositif où les portes ouvertes, entrouvertes ou fermées sèchement au nez de Sandra forment le moteur de cet étonnant suspense.

Ainsi, dès la conversation avec l'entraîneur de foot amateur, le premier à laisser exploser sa culpabilité par rapport à son choix, l'émotion envahit le spectateur. Dans un monde où survivre socialement implique de blesser son prochain (une amie, un père) et où les faibles (par leur sexe, leur couleur de peau, leur âge) doivent faire profil bas s'ils ne veulent pas subir le retour de bâton des chiens de garde du système, il y a encore une place pour une forme de résistance. Mais celle-ci est fragile, intime et personnelle, elle relève de l'estime de soi et du lien joyeux qui peut unir des êtres prêts à se soutenir entre eux.

Ce lien, les Dardenne choisissent de le chanter. Eux qui ont longtemps tenu la musique à distance de leur cinéma la mettent dans Deux jours, une nuit au cœur de deux séquences admirables où les chansons, tristes ou gaies, réunissent soudain dans l'habitacle d'une voiture ces éclopés vaillants et combatifs. Et c'est magnifique.

Deux jours, une nuit
De Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belg-Fr, 1h35) avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione…


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