"Imitation game" : Citizen Turing

Encore une bio filmée ? Encore un film à oscars ? Certes, mais Morten Tyldum réussit à faire de la vie d'Alan Turing, mathématicien génial, inventeur de l'ordinateur, artisan de la défaite des nazis contre l'Angleterre et homosexuel dans le placard un surprenant puzzle à la "Citizen Kane". Christophe Chabert


En 1940, Alan Turing intègre une équipe de mathématiciens réunis par les services secrets britanniques afin de décoder le langage utilisé par les nazis pour envoyer des messages informant des positions anglaises. Les méthodes de Turing le mettent en porte-à-faux avec ses collègues : il s'isole et commence à bricoler une machine complexe et coûteuse, tout en tentant de convaincre le ministre de la défense de financer son projet avant-gardiste.

Le film de Morten Tyldum, cinéaste norvégien dont les œuvres précédentes n'ont même pas eu droit à une sortie en salles chez nous, ne commence pourtant pas ici, mais quelques années après. Turing est arrêté par la police et interrogé sur ses activités qui, secret défense oblige, ont été effacées par l'administration. Et, régulièrement, le film plonge dans son passé : élève introverti, il avait noué une amitié forte avec un autre jeune garçon, Christopher. Ce puzzle narratif, directement emprunté à Citizen Kane, va faire apparaître le Rosebud de Turing, qui n'est pas tant son homosexualité, rapidement révélée, que ce qui a fait tenir ensemble toutes les pièces de son existence.

Rise and fall

Qu'on se le dise : Imitiation game est un parfait film à oscars, dont il reprend toutes les conventions. Un grand sujet (et même plusieurs), une histoire vraie, une mise en scène très sage et un acteur principal en pleine performance ; sur ce dernier point, cependant, il faut reconnaître que Benedict Cumberbatch, comme Matthew MacConaughey dans Dallas Buyers club l'an dernier, livre autant un précipité de son jeu qu'une quête de dépassement cherchant l'épate. Il est de fait formidable, toujours juste dans sa représentation du premier geek de l'histoire.

Mais le film a d'autres qualités, notamment les dialogues vifs, enlevés et assez drôles de la première heure (les choses deviennent plus sérieuses ensuite) et cette construction dramatique audacieuse où le triomphe de Turing est mis en parallèle avec sa chute tragique. Tyldum ne se prive pas de signaler que Turing est aussi l'inventeur d'un test qui permet de savoir si l'on est en face d'un être humain ou d'une machine – celui qu'on utilise pour pister les réplicants dans Blade Runner. Mais la machine de Turing est en fait très humaine et la dissimulation de sa sexualité le conduit à se désincarner, sinon à disparaître. C'est ce genre de paradoxes qui place Imitation game un cran au-dessus du lot en matière de biopic oscarisable.

Imitation game
De Morten Tyldum (Ang-ÉU, 1h54) avec Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Mark Strong…


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