"Ce qui nous lie" : millésime de qualité pour Cédric Klapisch

D'une vendange à l'autre, une fratrie renoue autour du domaine familial… Métaphore liquide du temps et de la quintessence des souvenirs précieux, le (bon) vin trouve en Cédric Klapisch un admirateur inspiré. Un millésime de qualité, après une série de crus inégaux.


Dix ans après avoir laissé sa Bourgogne pour courir le monde, Jean (Pio Marmaï) s'en revient au domaine viticole familial, alors que son père agonise. Oubliant rancune et rancœur, dépassant les tracas administratifs, il s'emploie avec sa sœur (Ana Girardot) et son frère (François Civil) à réussir le meilleur vin possible. Le travail d'un an, le travail de leur vie…

Loin de délaisser la caméra ces mois passés (il a en effet enchaîné pour la télévision la création de la série Dix pour cent et des documentaires consacrés à Renaud Lavillenie) Cédric Klapisch a pourtant pris son temps avant de revenir à la fiction sur grand écran. Une sage décision, au regard de ses dernières réalisations : sa sur-suite facultative et paresseuse à L'Auberge espagnole en mode cash-machine ou son recours systématique au film choral néo-lelouchien constituaient autant de symptômes d'un essoufflement préoccupant. 

Au temps en emporte le vin

Ce qui nous lie estompe cette inquiétude : respectueux de son sujet (l'apprentissage et la domestication du temps, d'horloge et de météorologue, dans le processus de fabrication du vin), le cinéaste a observé une patiente incubation, se plaçant en adéquation avec la nature et pliant son tournage aux exigences d'icelle. D'aucuns jugeraient ces détails comme relevant de l'anecdote ou de l'absurdité économique ; il s'agit en l'occurrence d'une preuve de cohérence, de sincérité, dans son approche. Sans compter qu'en faisant peser la réalité du calendrier sur les comédiens, il leur a permis de s'imprégner d'éléments intangibles, donc de peaufiner la construction de leurs personnages.

À travers ce cycle, cette année de vinification, Klapisch condense une vie en en célébrant les plaisirs éprouvés par tous les sens : une douce ivresse (pas uniquement éthylique) disperse le spleen, et les fruits mûrs du présent contrebalancent la gravité résurgente du passé. Sans faire l'apologie des boissons alcooliques, son film vante le caractère proustien du vin, capable de ressusciter par-delà les années une époque, une ambiance, une terre comme le souvenir d'être aimés disparus.

Le nectar de Bacchus apparaît aussi comme une langue vernaculaire pour la fratrie et véhiculaire pour le monde entier ; un objet culturel en apparence inerte, mais vivant et doté d'une âme. Alors, si le film sacrifie par endroits au genre "saga rurale", avec un Jean-Marie Winling en prédateur matois, on ne se formalise pas trop : le flacon, après tout, importe moins que ce qu'il renferme.

Ce qui nous lie
de Cédric Klapisch (Fr., 1h 53) avec Pio Marmaï, Ana Girardot, François Civil…


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Cédric Klapisch : « Le drame se fabrique avec du rien »