"Mother!" : la (vaniteuse) vie d'artiste

Thriller fantastique aux échos polanskiens, cette réflexion sur les affres effroyables de la création signée Darren Aronofsky ("Black Swan", "Requiem for a Dream"...) est aussi une puissante création réflexive. Et le récit du voyage aux enfers promis à celles et ceux qui gravitent trop près autour d'un·e artiste. Métaphorique, hypnotique et bourré de stars – Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Michelle Pfeiffer...


Un poète en panne d'écriture vit à l'écart du monde dans la vaste demeure que sa jeune et aimante épouse achève de rafistoler. L'arrivée d'un couple d'inconnus perturbe leur intimité. Mais si la maîtresse de maison est troublée par ces sans-gênes, le poète se montre des plus exaltés…

À croire qu'une internationale de cinéastes s'est donné pour mot d'interroger les tourments de l'inspiration littéraire : après Jim Jarmusch (Paterson), Pablo Larraín (Neruda), Mariano Cohn et Gastón Duprat (Citoyen d'honneur), voici que Darren Aronofsky propose sa vision du processus d'écriture. Vision divergée, puisqu'épousant les yeux de la muse plutôt que celle de l'auteur. Mais pas moins douloureuse : afin d'accomplir l'œuvre lui permettant d'être sans cesse adulé par ses lecteurs, le poète va vampiriser son entourage jusqu'aux derniers sangs, avec l'ingratitude égoïste d'un saprophyte.

Gore allégorique

Si dans Black Swan du même Aronofsky, l'acte créatif se confondait avec l'autodestruction de l'artiste, et dans son Pi la recherche mathématique (une autre forme d'art) équivalait à une plongée dans la folie, Mother! nous fait entrevoir les ravages collatéraux de la conception en malmenant celle que Thérèse d'Avila désignait comme « la folle du logis » : l'imagination. Dans cette entreprise, Aronofsky montre à quel point l'expression "taquiner la muse" tient du doux euphémisme, mettant au jour la part haïssable et sombre de toute production lumineuse. La violence aveugle et la vanité de l'artiste également, ce Sisyphe condamné à détruire pour créer, qu'importent les conséquences.

De cette spirale fascinante l'on sort positivement éprouvé, avec un modeste regret : que les affiches préventives au style sulpicien n'aient pas été conservées pour accompagner le film durant son existence dans les salles. Leur terrible beauté, leur audace graphique rendaient fidèlement justice à l'histoire, sans en dévoiler les innombrables mystères. Malheureux les timorés ! 

Mother!
de Darren Aronofsky (E.-U., 1h 55) avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Ed Harris, Michelle Pfeiffer…


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