Marathon man

Dix heures de théâtre orchestrées par l'une des figures du spectacle vivant français les plus passionnantes, c'est ce que propose la MC2 samedi 1er et dimanche 2 février. Une pièce-fleuve titrée "Joueurs, Mao II, Les Noms", et surtout une véritable expérience de spectateur comme presque seul le metteur en scène Julien Gosselin en est capable aujourd'hui.


Quand Julien Gosselin parle de théâtre (dans ses interviews notamment – on l'a plusieurs fois interrogé dans ces pages), le mot défi revient souvent. C'est que le trentenaire à l'ascension fulgurante (ses trois dernières créations ont fait le buzz dans le très chic Festival d'Avignon) n'est pas de ceux qui choisissent de simplement monter de grandes pièces maintes fois entendues sur les planches. Lui s'intéresse plutôt à la forme romanesque contemporaine, de surcroît celle qui est dense, ample… et semble, sur le papier, insurmontable – d'où l'idée de défi.

Après Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, immense réussite qui l'a révélé en 2013, et 2666 du Chilien Roberto Bolaño en 2016, Julien Gosselin s'est confronté cette fois à trois textes de l'États-Unien Don DeLillo qui brassent des questions très larges et actuelles – capitalisme, terrorisme, individualisme… Trois textes différents, sans liens narratifs apparents, qui donnent ainsi un spectacle composé de trois segments, d'où son titre, tout simple : Joueurs, Mao II, Les Noms. Et trois histoires, publiées entre 1977 et 1991, qui ne sont pas réjouissantes. « Je ne me vois pas pour l'instant monter une œuvre qui ne me laisse pas un fond de tristesse » nous déclarait le metteur en scène en 2017.

Au nom du théâtre

Un couple se délite dans l'outrageusement libérale New York ; un écrivain mythique vit éloigné du chaos du monde jusqu'à l'arrivée d'une photographe ; des hommes d'affaires et experts se retrouvent confrontés à une mystérieuse secte : voilà pour un rapide résumé des trois romans – et, de facto, du spectacle.

Mais si le récit a son importance, c'est ce qu'il provoque sur le spectateur qui intéresse réellement Julien Gosselin. Les mots de DeLillo sont pour lui un matériau presque comme les autres parmi ceux nourrissant son théâtre. À savoir la vidéo, dont il est coutumier et qu'il utilise magistralement (peut-être même trop la première heure !) ; l'univers sonore, soigneusement élaboré ; la scénographie, tout sauf illustrative… et les comédiens et comédiennes bien sûr, magnétiques comme toujours chez lui.

En découle un marathon de presque 10 heures dans lequel on se perd et s'épuise souvent mais qui dégage une grande force, tant narrative que plastique. Et qui reste en mémoire longtemps, très longtemps... Un an et demi après la création, ces dîners en Grèce, au bord de la mer et de son entêtant ressac, avec ces expatriés d'un autre monde (ceux du segment Les Noms), sont pour nous toujours aussi prégnants. Et dérangeants.

Joueurs, Mao II, Les Noms
À la MC2 samedi 1er et dimanche 2 février à 13h


<< article précédent
Bertrand Belin : des hommes qui tombent