Yoann Bourgeois : « Je réfute de potentiels soupçons de contrefaçon »

Sortie début février, une vidéo anonyme sous-entend que Yoann Bourgeois, circassien et codirecteur du Centre chorégraphique national de Grenoble (CCN2), aurait plagié plusieurs artistes pour ses propres créations. Alors qu'on souhaitait l'interroger aujourd'hui sur les changements en cours au CCN2 (après le départ du chorégraphe Rachid Ouramdane, qui pilotait l'institution à ses côtés), on en a profité pour revenir avec lui sur la polémique et ainsi recueillir son point de vue.


« Je suis désolé mais cette affaire me touche trop durement, et je vais avoir besoin d'y répondre en articulant bien chaque chose, avec suffisamment d'espace, et cela quand ma parole sera audible. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. » Voilà ce que nous avait répondu Yoann Bourgeois fin février dans le cadre de notre article Quand le travail de Yoann Bourgeois fait polémique. Il avait néanmoins publié quelques jours auparavant une tribune sur Artcena (le site du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre) afin d'esquisser une défense, sans néanmoins faire explicitement référence à la vidéo qui le met en cause.

Deux mois plus tard, après plusieurs relances de notre part et alors qu'il se retrouve seul à la tête du CCN2, il a accepté de revenir sur le sujet. En pesant chacun de ses mots, en demandant à relire ses propos et en y apportant des précisions à l'écrit. Voici ce qu'il nous a répondu – sachant qu'il n'a pas voulu rentrer davantage dans les détails pour, nous a-t-il assuré, ne pas gêner la médiation lancée.

Pourquoi, malgré quelques déclarations succinctes à la presse, n'avez-vous pas réagi plus longuement au moment de la sortie de la vidéo L'Usage des œuvres ?

Yoann Bourgeois : Ce qui fonde l'originalité d'une œuvre est une notion complexe et passionnante, mais c'est le genre de sujets, si l'on veut y répondre sérieusement, qui se compose mal avec les formats de la "com", réclamant articulation et nuance. J'ai tenté d'exprimer mes réflexions le plus clairement possible par un texte qui se nomme L'Histoire peine sur la plateforme Artcena. J'y développe, entre autres, l'idée qu'une œuvre doit s'apprécier de manière globale, en tentant d'appréhender sa composition. Je parle aussi des filiations qui traversent tous les arts, qui remontent bien plus loin et descendent bien plus profond que ce qu'on croit. C'est toujours ma position aujourd'hui.

Beaucoup d'artistes cités dans la vidéo se sont exprimés dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Même si leurs situations sont différentes, ils semblent en accord avec ce que dénonce la vidéo. Qu'avez-vous à répondre à ces accusations ?

Permettez-moi une petite nuance : il n'y a eu aucune action de justice à mon égard. Et je réfute de potentiels soupçons de contrefaçon. Permettez-moi aussi deux remarques. La première est que le droit français est le droit au monde qui protège le mieux ses auteurs, avec des sociétés professionnelles très compétentes – comme la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatiques] dans le secteur du spectacle vivant. On peut alors se demander : si quelqu'un se sent floué, pourquoi n'a-t-il pas recours au droit, aux tribunaux ou aux instances de médiation ? Et pourquoi cette campagne se double de mails anonymes diffamants ?

La seconde remarque, c'est que je pense que le sujet en question est peut-être davantage relationnel que juridique. Et c'est parce que les relations personnelles sont choses délicates que je ne me permettrai jamais de les traiter ni de façon anonyme sur les réseaux sociaux, ni d'en faire le spectacle par médias interposés.

Depuis la sortie de la vidéo début février, avez-vous échangé avec les artistes cités ?

J'ai tenté de proposer une médiation à tous ceux concernés par cette vidéo. C'est en cours. La plupart d'entre eux n'ont pas souhaité y répondre positivement. Mais je suis tout de même actuellement en lien avec certains pour, je l'espère, trouver une voie d'apaisement.

[Mise à jour vendredi 16 avril, 12h15 : Yoann Bourgeois nous informe que de nouveaux artistes ont répondu favorablement à sa proposition de médiation et réaffirme son espoir de trouver « une voie d'apaisement ».]

La vidéo se termine par un « fin de la première partie ». Craignez-vous une suite ?

Plus on manipule des fragments courts de spectacles, plus les analogies deviennent potentiellement infinies ! Donc ce ne serait pas très dur de continuer à l'infini ce type de manipulation anonyme. Aujourd'hui, je ne sais toujours pas qui est à la manœuvre de cette vidéo, ni des mails anonymes diffamants que mon équipe a reçus au moment exact où le projet du CCN2 était requestionné...

Vous faites un lien ?

C'est l'une des premières choses qui m'a interloqué. J'ai du mal à penser que c'est un hasard. C'est un bon moment pour essayer de déstabiliser quelqu'un.


« Il était juridiquement prévu que si l'un de nous deux partait du CCN2, l'autre poursuivrait seul »

Suite au départ de Rachid Ouramdane pour le Théâtre national de Chaillot (Paris), vous allez diriger le CCN2 seul, comme l'a acté fin mars le conseil d'administration. Cela va-t-il changer des choses ?

Oui et non. Le projet du CCN2, que nous avions coécrit et qui, depuis 2016, est mis en œuvre par une remarquable équipe, va évoluer. Ce centre chorégraphique est devenu un véritable laboratoire de pratiques situées, unique en son genre, et va poursuivre son grand geste de décloisonnement, qu'il soit disciplinaire, social ou territorial.

Je suis personnellement convaincu que l'un des enjeux de notre époque consiste à réinventer notre rapport à la terre, et tout aussi convaincu qu'il faut des lieux d'expérimentation et de production symbolique pour incarner cela. J'aimerais que le CCN2, en mettant à l'honneur des projets innovants, dans leurs formes d'interaction avec l'espace, soit l'un des lieux inspirants pour cela.

Nous développerons de nouvelles agilités pour nous rendre encore plus mobiles, notamment sur notre territoire d'implantation tout en poursuivant nos coopérations internationales. Nous investirons le champ des technologies immersives. Nous allons créer un collège pédagogique pour nourrir et partager nos recherches, continuerons l'ouverture de notre structure en faisant encore plus de place aux autres équipes artistiques, accueillerons bientôt une troisième artiste associée... et poursuivrons tous nos événements, dont notre emblématique Grand Rassemblement. 

Avez-vous imaginé créer un nouveau binôme de direction ?

C'est une question importante qui ne s'improvise pas... Dans les statuts du CCN2, il était juridiquement prévu que si l'un de nous deux partait, l'autre poursuivrait seul jusqu'à la fin du mandat. Je reste très attaché à des processus de direction partagée. C'est la raison pour laquelle j'ai immédiatement mis en place une double direction adjointe. Cela nous laisse le temps d'ici la fin de ce second mandat, qui se termine dans un an et demi, de continuer à dessiner la suite de ce projet singulier. 

Le CCN2 est logé au sein de la MC2. Comment se passe les relations avec la nouvelle direction d'Arnaud Meunier ?

Formidablement ! Il y a des tas de rapprochements qui ouvrent de nombreuses perspectives. Le fait de coréaliser certains projets, d'imaginer des passerelles, des échos entre nos programmations... De travailler vraiment, enfin, en complicité pour lier nos activités. Nous portons dès à présent des ateliers pédagogiques communs, partageons nos préoccupations autour de la réalité virtuelle, et en 2022, nous porterons un Grand Rassemblement ensemble.


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