L'hymne à la joie

"Huit heures ne font pas un jour", mais trois heures font une aventure théâtrale réussie. En adaptant un feuilleton télévisé du maître allemand Fassbinder, la metteuse en scène Julie Deliquet livre un spectacle généreux sur le monde ouvrier des années 1970 et la force du collectif. À voir à la MC2.


Depuis plusieurs années, au théâtre, la mode est au cinéma. Et notamment à l'adaptation de scénarios. Julie Deliquet fait partie de cette génération de metteuses et metteurs en scène pour qui, sur le plateau, tout peut faire matériau, jusqu'au septième art. Après avoir travaillé sur des textes du répertoire classique (Tchekhov, Brecht, Lagarce…), elle a récemment monté Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman (avec la troupe de la Comédie-Française) et Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin. « Je ne voulais pas rivaliser avec le film que j'adore, je voulais le retraverser par le prisme du théâtre », déclarait-elle au sujet du second. Dans les deux cas, elle apportait un nouveau regard sur les longs-métrages, en accentuant notamment la théâtralité des récits initiaux, qui auraient bien pu être des pièces.

La voici qui revient avec un spectacle construit à partir d'un scénario, celui d'un feuilleton télévisé cette fois : Huit heures ne font pas un jour. Mais pas un feuilleton bas de gamme, non ; un feuilleton signé par le réalisateur, metteur en scène et auteur allemand culte Rainer Werner Fassbinder. Diffusé en RFA entre 1972 et 1973, il racontait la vie d'une famille ouvrière, en croisant l'intime et le politique. Julie Deliquet, elle, ramasse l'intrigue en un peu plus de trois heures, et livre un spectacle au souffle épique.

Vies usinées

Cologne, Allemagne de l'ouest, début des années 1970. La vie des Krüger-Epp tourne autour de l'usine d'outillage qui emploie beaucoup de membres de la famille. C'est cette usine qui sert de décor monumental à Julie Deliquet. Mais l'usine n'est pas grise, terne ; elle est joyeuse. C'est une scène de théâtre où se confrontent les grands enjeux de l'époque – les revendications sociales, le féminisme, le racisme, le consumérisme, le rôle de la presse… Même si ce centre névralgique de beaucoup d'existences peut bouffer jusqu'aux chairs des uns et des autres.

Sur le plateau, ça brasse, ça chante, ça boit, ça vie… Julie Deliquet a l'art de donner corps à un groupe, au sens littéral du terme (il y a un paquet de comédiennes et comédiens devant nous, qui prennent un plaisir évident à jouer) comme métaphorique : son spectacle, généreux, porte haut l'idée de collectif, qu'il soit familial, social… Cinquante ans après la sortie du feuilleton, Huit heures ne font pas un jour est autant un témoignage historique vintage qu'un questionnement sur notre époque. Et un très grand moment de théâtre, avec en son centre l'immense Évelyne Didi en matriarche facétieuse.

Huit heures ne font pas un jour du mercredi 2 au vendredi 4 février à la MC2, de 5€ à 28€


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