Offrandes un peu sèches

Joliment intitulée "La Position de l'amour", l'exposition d'ouverture du Cnac Le Magasin réunit une dizaine de (jeunes) artistes qui tentent de continuer de créer dans un monde en crise. Pas inintéressant sur le papier, mais un peu sec quant à ce qui est donné à voir au spectateur...


Ouvert au milieu des années 1980, le centre d'art du Magasin était alors emblématique des mutations de l'art contemporain sur le territoire français. À cette époque, pas si lointaine et pourtant révolue, les artistes, soutenus par des moyens financiers conséquents, étaient souvent invités à réaliser de spectaculaires installations destinées à dialoguer avec d'anciens lieux industriels fraîchement réhabilités en centres d'art. 40 ans plus tard, la donne a changé. Les moyens ne sont plus les mêmes, les politiques sont plus prompts à financer la culture événementielle que le travail de fond mené par une institution de terrain, et surtout les pratiques artistiques sont tout autres. Soucieux des questions sociales, postcoloniales et écologiques, les artistes ne sont plus tellement dans la logique de la méga-prod au bilan carbone déplorable ; et c'est bien ce qui frappe lors de la visite de la première exposition du renouveau du Magasin, intitulée La Position de l'amour.

Rituels de régénérescence 

De la même manière qu'après la Première Guerre mondiale, l'artiste dadaïste Kurt Schwitters réalisait des collages à partir des débris trouvés en arpentant les rues d'une Allemagne ruinée, la plupart des artistes de cette exposition travaillent souvent avec le trois fois rien, le dérisoire dans un monde qui s'effrite (s'effondre ?) continuellement. Par le biais de pratiques qui s'apparentent parfois à des sortes de rituels, ils s'attachent à ré-insuffler de la poésie à une société qui en est dépourvue. Autant d'actes de résistance qui témoignent d'une volonté de ne pas se résigner, et dont le cri libérateur d'Abbey Lincoln, en début de parcours, est symptomatique. Cela passe souvent par des démarches qui empruntent à la magie (les "sorts" de Gabrielle L'Hirondelle Hill), agissent comme des rituels de régénérescence (la déambulation de Rebecca Bellantoni) et réactivent la notion d'offrande (Gabrielle L'Hirondelle Hill, Ivan Cheng, Prune Phi) – comme une volonté de réinjecter du sacré dans un monde déserté de Dieu (bien qu'investi par les religions). 

Si ces pratiques sont pleines de sens, on s'interroge tout de même sur ce qu'en percevra le visiteur qui aura la curiosité de passer les portes du Magasin. En effet, paradoxalement, ces œuvres dont la démarche évoque souvent le partage, l'échange et le don, ne sont pas franchement généreuses avec le public qui vient les découvrir dans leur forme d'exposition. Et on peut se demander alors (comme avait pu le faire Béatrice Josse, la directrice précédente du Cnac) si finalement, l'exposition est vraiment le meilleur moyen de rendre compte des intentions artistiques de ces artistes…

Revalorisation des stocks

C'est d'ailleurs lorsque les artistes sortent de l'exposition et s'emparent des espaces de vie du centre d'art que la mayonnaise prend. L'accueil, la librairie, l'espace enfants, réaménagés à partir de tout un tas de rebuts trouvés dans les stocks du Magasin par un collectif d'artistes réunis par l'atelier de design Stromboli, sont à la fois classieux, élégants et chaleureux. Leur démarche concilie approche conceptuelle en prise avec les réalités contemporaines et proposition plastique stimulante pour le regardeur, tout ce qui fait un peu défaut à bon nombre de pièces de l'exposition. On retiendra tout de même dans celle-ci les ambiances sonores captivantes de la vidéo de Rebecca Bellantoni, le documentaire de Valentin Noujaïm, la micro-installation narrative d'Alvaro Urbano (où il serait question d'attente, d'emménagement et d'espoir, comme en écho à la réouverture), et l'installation vidéo de Hannah Quinlan et Rosie Hastings, qui anime puissamment le fameux espace de la rue.

La Position de l'amour jusqu'au 12 mars 2023 au Magasin, 0€/5€


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