Dans la vallée d'Elah

Paul Haggis, réalisateur de "Collision", utilise une mécanique de thriller pour s'interroger sur les conséquences de la guerre en Irak aux États-Unis dans un beau film mélancolique et inquiet. Christophe Chabert


Ici, on était très loin d'être fan du pourtant acclamé Collision. Paul Haggis, scénariste de deux chefs-d'œuvre d'Eastwood (Million dollar baby et Mémoires de nos pères), réalisait alors son premier film. Mais dans cette lourde œuvre à thèse instrumentalisant des personnages fonction pour une démonstration contestable, on ne voyait encore que le scénariste malin mais maladroit. D'où la belle surprise que représente Dans la vallée d'Elah. Si les défauts d'hier (une surscénarisation et quelques tendances à jouer cyniquement sur la corde sensible du spectateur) sont dépassés par une réelle attention à des personnages complexes qui ne véhiculent plus le propos, mais en intensifient la dimension humaine. Une des forces du film tient d'ailleurs au fait que le sujet n'est plus inscrite dans les gênes de l'intrigue, mais se laisse régulièrement doublé par un vrai thriller à la mécanique efficace.Non, ce pays n'est pas pour le vieil hommeUn père (Tommy Lee Jones), ancien sergent de l'Armée américaine, apprend un matin que son fils a disparu de l'unité militaire dans laquelle il était incorporé, peu de temps après son retour d'Irak. Refusant l'inertie de la police et les mensonges de l'Armée, il décide de mener l'enquête en parallèle, surtout après la découverte du corps mutilé et brûlé de son rejeton. Paul Haggis prend son temps pour filmer l'immersion mélancolique de cet homme vieillissant dans un monde qu'il croit connaître mais qui ne veut plus de lui, faisant l'expérience du retour du même (l'Irak en faux jumeau du Vietnam) mais de l'autre côté de la barrière, celle des "victimes" par contagion morale du conflit. Ce qui ne le rend d'ailleurs pas forcément sympathique ; c'est la grande idée du film, faire de son héros une figure républicaine, patriote, raciste, sûre de son bon droit, mais dont les valeurs se désagrègent peu à peu au contact du réel. D'ailleurs, c'est dans une sous intrigue parallèle, réduite à deux scènes non connectées au drame du personnage principal, que le film livre son véritable message : un vétéran du conflit qui se transforme en assassin domestique ordinaire, importation tragique de la violence d'ailleurs dans le foyer "démocratique" d'ici. C'est ainsi qu'Haggis poursuit avec infiniment plus de subtilité la galerie de portraits de Collision : non pas entrelacer les destins, mais les juxtaposer en scènes trouées de silences où des hommes confessent leur désarroi et leur confusion. On n'oubliera pas la séquence glaciale où un des G.I.'s livre son idée pour finir la guerre : "Prendre une arme nucléaire et tout faire sauter". Le S.O.S final frappe alors par sa logique implacable : où va l'Amérique ? Dans le mur de son autarcie aveugle, répond Haggis.Dans la vallée d'Elahde Paul Haggis (ÉU, 2h02) avec Tommy Lee Jones, Charlize Theron, Susan Sarandon...


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