À la belle étoile

Danse / Sylvie Guillem et Russell Maliphant présentent leur nouveau « programme commun » à l'Opéra. Soit une danseuse étoile et un chorégraphe de la lumière qui font ensemble bien des étincelles. Jean-Emmanuel Denave


Il n'est presque plus utile de présenter Sylvie Guillem (née en 1965), danseuse à la technique et au charisme exceptionnels, et sa carrière fulgurante : entrée au Ballet de l'Opéra de Paris à seize ans, danseuse étoile à dix-neuf, Principal Guest Artist au Royal Ballet de Londres cinq ans plus tard... L'égérie de Maurice Béjart, William Forsythe ou Mats Ek s'est laissée séduire par la danse fluide et lumineuse du chorégraphe anglais Russell Maliphant, avec qui elle travaille maintenant fréquemment (un premier programme commun avait été présenté aux Nuits de Fourvière en 2005). Maliphant, quant à lui, a été découvert par les Lyonnais en 2002 à l'opéra avec une pièce superbe, Critcal Mass, duo masculin sculptural secoué d'accélérations prodigieuses. Puis lors de la Biennale de la danse 2004, avec Twelvetwentyone, flux ininterrompu de mouvements et portés souples et enroulés, nourris aux sèves de la capoeira. "Il faut arracher le corps à son opacité naturelle", déclarait le chorégraphe. Cela se traduit souvent chez lui par une scène plongée dans la pénombre et des danseurs isolés sur des carrés de lumière découpés au sol, afin de concentrer le regard du spectateur sur les métamorphoses et les figures plastiques étonnantes de leurs corps. Le design lumière du talentueux Michael Hulls fait partie intégrante des œuvres de Maliphant.Intimité, intensitéSi Maliphant se laisse parfois aller à l'esthétisme dans ses pièces de groupe, son acuité et son intensité atteignent des sommets dans ses œuvres intimistes. Ca tombe bien, car le programme qu'il présente à l'Opéra est composé d'un solo qu'il interprète lui-même (Shift), d'un duo en compagnie de Sylvie Guillem (Push), et deux solos exécutés par la danseuse étoile : Solo et Two. Cette dernière pièce vaut à elle seule le déplacement : dix minutes sidérantes où Sylvie Guillem, dans une sorte de cube lumineux, découpe avec son torse et ses bras des arabesques d'intensité toujours croissante, jusqu'à la transe et au vertige au rythme de la techno d'Andy Cowton. Nous ne connaissons pas les trois autres pièces mais sommes très impatients de les découvrir... Cette semaine par ailleurs, le Ballet de l'Opéra reprend Limb's Theorem (1991) de William Forsythe. Une pièce pour 27 danseurs emblématique de l'œuvre du chorégraphe américain qui, inlassablement, revisite le vocabulaire classique pour le déstructurer, le réinventer, et le pousser dans ses ultimes retranchements. Limb's Theorem, la bien nommée, se déploie avec la précision et la rigueur d'une démonstration mathématique : trois parties, trois dispositifs scéniques hyper structurés, trois propositions sur le rapport des corps à un espace géométrique. La machinerie de Forsythe est impressionnante, la technique virtuose et les vitesses d'exécution ébouriffantes. Elle en devient parfois martiale, broyant l'émotion sous ses rouages trop bien huilés et son formalisme lassant à la longue. Une pièce écrasante donc, dans tous les sens du terme.


<< article précédent
Chemins de traverse