Mariage de passions

Musique / Quand les rockers allemands de The Notwist rencontrent les rappeurs américains de Themselves, cela donne 13&God. L'individualité de cette somme n'est pas forcément égale à la somme des individualités, mais le projet reste passionnant et emblématique de la culture pop contemporaine. Christophe Chabert


C'est sûrement la nouvelle des années 2000 : l'apparition d'une génération de musiciens qui ne semblent plus avoir aucune considération pour les étiquettes, qui s'écoutent les uns les autres avec respect et tentent de fragiles fusions entre leurs talents. L'histoire de 13&God a quelque chose de sublime : d'un côté, le groupe allemand The Notwist, qui a très tôt marié compositions pop et arrangements électro, portant la formule à ébullition sur Neon Golden, magnifique suite de tubes à la thématique intimiste imposée (je t'aime, tu me quittes, tu ne réponds pas au téléphone...) ; de l'autre, les Américains de Themselves, réunion au sommet au sein de l'incontournable label Anticon d'Adam "DoseOne" Drucker et Jerry "Jel" Logan, qui ensemble ont produit deux albums stupéfiants. La complexité de l'écriture (des textes qui utilisent l'abstraction et la métaphore pour parler avec acuité des menaces et inquiétudes contemporaines) y est toujours relayée par une ambiance sonore où l'art du sample est élevé jusqu'au commentaire composé des idées développées. Distance géographique, barrière des genres et contraste flagrant entre la voix nasillarde de DoseOne et celle, sucrée, de Marcus Ärcher : une opposition trait pour trait qui débouche pourtant aujourd'hui sur une jolie union, après de nombreux appels du pied.Synthèse et perspective À ce jeu-là, DoseOne avait une longueur d'avance... En prêtant main forte aux Anglais de Hood sur leur essentiel Cold House, il brisait le tabou : oui, la pop et le hip-hop ont des choses à partager et des univers à croiser. Fort de cette expérience réussie et d'une productivité tout bonnement inouïe, DoseOne va se faire l'ambassadeur international de cette utopie réalisée. Mais il fallait qu'Ärcher fasse à son tour un pas en sa direction pour qu'un véritable projet commun aboutisse : ce seront les remixes qu'il réalisera pour Themselves, gage crédible d'une fructueuse synthèse des compétences. Et voilà donc 13&God qui débarque avec un album qui respire l'humeur badine (squelette et tête de mort sur la pochette, tonalité au mieux mélancolique, au pire dépressive) et où, étrangement, les deux groupes se partagent l'espace dans une curieuse perspective : un titre où les rappeurs viennent toaster sur la musique de Notwist, un autre où c'est Marcus Ärcher qui pose sa voix sur des compos sentant bon le Themselves. Autant dire que ce super-groupe ne fait qu'additionner les talents qui le composent, sans aboutir au dépassement attendu. Reste alors la joie de découvrir enfin sur une scène lyonnaise le fabuleux DoseOne, et celle, non moins grande, d'y revoir The Notwist, trois ans après leur remarquable prestation au Ninkasi Kao.13&GodAu Ninkasi Kao le 10 juin"13&God"(Alien8/La Baleine)


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