Les Années

ANNIE ERNAUX Gallimard


Ses récits ont longtemps touché à l'intime. Le sien. Elle narrait son divorce dans des années 60 finissantes qui ne l'acceptaient pas encore, elle parlait de son avortement de jeune fille et de ses amants de femme mûre, qui parfois deviennent légitimes et rejoignent les dîners de fêtes en famille. Annie Ernaux a désormais soixante-dix ans, une retraite de professeur bien entamée et des milliers de notes «qui doublent son existence depuis plus de vingt ans», et elle veut écrire ce livre qui représente un «instrument de lutte». Parce qu'il faut rabâcher les événements petits et grands si on ne veut pas que la société dévoreuse de lendemains supposés plus brillants ne les passe à trépas. Annie Ernaux relie ses photos jaunies, celles en technicolor puis celles en numériques pour scander l'histoire de son pays. La petite fille puis la mère, la femme libre et solitaire aussi qu'elle décrit, c'est elle. Ce pourrait être nous ou notre mère, notre grand-mère. Dans l'imparfait absolu et «continu» de celle pour qui l'avenir est désormais un temps bien plus étroit que ce qui a été, elle se pose comme constituante de ce monde. Elle a tout absorbé : l'arrivée des outils qui n'étaient pas nécessaires et le sont devenus, les mouvements politiques : de 68 qui était la première année du monde, de son monde, à l'air léger de 81 avant de douter de la nécessité de voter encore en 2007. Elle livre Les Années pour tenter de résister à cette période où la vie, la vraie est chez Auchan et plus tout à fait chez Perec. Voilà sa lutte.Nadja Pobel


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