La Maison de Mariata

Objet singulier et passionnant produit par un collectif de cinéastes marseillais et co-signé par son «sujet», ce film hors format autour d'un mariage aux Comores dessine un avenir à un cinéma minoritaire mais indispensable. Christophe Chabert

La Maison de Mariata arrive sans crier gare sur un écran lyonnais (le CNP, et on salue d'ailleurs le courage de Marc Artigau), alors que les distributeurs vident ce mois-ci des tiroirs plus ou moins bien remplis.C'est un objet cinématographique artisanal, fragile, mystérieux, dont la fabrication est inséparable du résultat final. Que voit-on à l'écran ? D'abord des mains qui peignent de délicates calligraphies, et des voix qui les commentent.
L'image vidéo n'est même pas celle d'une DV, elle provient d'une VHS rescapée du siècle précédent. Ensuite, de lents panoramiques saisissent des visages noirs, dans ce que l'on nous dit être un mariage. «Qui tient la caméra ? - Mon fils... -Tu es où ? - Je suis là !» Le dialogue, impromptu, se fait entre les images, sur fond noir, comme le commentaire audio d'un DVD dont on aurait ralenti le rythme pour laisser le temps aux auteurs de s'exprimer.
On ne sait pas encore exactement ce qui nous est raconté, mais on a déjà saisi ce que ce film a de neuf et de stimulant : il fait des allers-retours entre la simplicité élémentaire du home movie et un dispositif beaucoup plus complexe qui permet de révéler ce que les images ne disent pas.Vivre sa vie
Mariata est comorienne, mais elle vit et travaille à Marseille. Elle y a épousé un autre Comorien, qu'elle a littéralement sorti de la rue et de la dèche. Mais, souhaitant respecter les traditions de son pays d'origine, il y est retourné pour épouser une femme de là-bas.
Mariata ne s'y est pas opposée, au contraire, elle a participé à cette noce, respectant ce choix de la polygamie tout en gardant, on le découvre au fil du film, la maîtrise de sa vie. Mariata, de l'image à son commentaire, garde la même intégrité simple : elle sait où elle est, où elle va, et se refuse à l'apitoiement. La maison qu'elle bâtit elle-même aux Comores lui appartient, et ce mari est le sien, pas celui des «autres» (la seconde épouse, la famille).
Les trois regards qui construisent le film - le fils qui enregistre les images, la cinéaste Gaëlle Vu qui les monte et Mariata qui en parle - finissent par ne former qu'un seul discours dont l'enjeu est de montrer cette distance culturelle que seule une volonté individuelle peut venir bousculer. Métaphore transparente d'un film qu'on pourrait qualifier d'indépendant (autoproduit et autodistribué par un collectif de cinéastes marseillais baptisé Film flamme) si ce terme ne servait aujourd'hui à désigner tout et son contraire. On en connaît qu'un seul équivalent récent : le formidable Substitute de Vikash Dhorasoo et Fred Poulet ; une autre affaire de regard croisé sur l'intime et l'absence.
Loin d'un cinéma du milieu qui est seulement un cinéma moyen, ces films élaborent à la marge les futures et réelles révolutions du cinéma français.La Maison de Mariata - De Gaëlle Vu et Mariata Abdallah (Fr, 1h10) documentaire

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