Miroir, mon beau miroir

Classique / Thierry Escaich va faire de l'ombre à Fauré, Sibelius et Bizet dans la même soirée. Son Miroir d'ombres pour violon, violoncelle et orchestre éblouit tant qu'on en oublierait le reste. Pascale Clavel


Le reste, parlons en. Le concert proposé deux soirs de cette semaine par l'Auditorium est de belle constitution avec deux Pelléas et Mélisande de factures très différentes. Celui de Fauré, suite pour orchestre presque immatérielle, comme une incroyable histoire en suspens, et le Pelléas de Sibelius, venu du froid, plus charnel et terriblement mélancolique. À ces œuvres rarement programmées, viennent s'ajouter de larges extraits de l'incontournable Arlésienne de Bizet. Faut-il toujours rassurer le public ? Est-il toujours nécessaire de programmer un «tube» – certes plaisant - parce que dans la même soirée ce public va entendre une œuvre contemporaine et qu'il a encore peur de son propre temps. Pourtant, avec Miroir d'ombres, Thierry Escaich a composé une œuvre à la fois ancrée dans son temps et tellement en dehors. Une œuvre bouleversante de tendresse et d'humanité. Il est bon de le signaler lorsque souvent les créations contemporaines paraissent âpres, inatteignables et incompréhensibles. Commandé à Thierry Escaich par l'Orchestre National de Lille en 2005 lors d'une résidence, Miroir d'ombres est un double concerto pour violon, violoncelle et orchestre aux teintes inquiétantes. Tout s'installe sur une unique note de basse, répétée encore et encore, comme un tapis de sol mouvant. De cette instabilité, émerge un premier thème au violon, un thème presque crasseux, obsédant, tournant à la folie, un thème rendu angoissant par son développement en boucle puis en arpège. Le violon appelle, interpelle le violoncelle, deuxième soliste qui tarde à venir. Quant à l'orchestre, il se bat, essaie de se faire une place, les timbres qui jaillissent sont d'une excessive beauté, piano et célesta ponctuent et colorent le tout. Vertige du double
Miroir d'ombres est une œuvre à incorporer, à avaler. Thierry Escaich, comme dans toute son œuvre, nous saisit et nous hypnotise. Deux jeunes et brillants solistes sont aux commandes : les frères Capuçon. On ne les présente plus tant leur notoriété est grande, tant leur jeu fascine. Renaud, le violon, le moins jeune, celui qui joue les yeux fermés. De l'intériorité en plus ? Non, une façon d'accompagner ses phrasés, une manière de respirer la musique, une différence d'être visible qui laisse la place au frère. Gautier, le violoncelle, celui qui joue les yeux grands ouverts sur le monde. L'extraverti ? Ce serait si simple. Non, une façon de se donner, une manière d'interpeller un public presque gêné… La jouissance musicale les yeux ouverts. Par delà ces anecdotes, Miroir d'ombres s'est rendu visible avec eux, Miroir d'ombres a mûri avec eux, c'est eux que l'on va entendre ici et ces deux soirées seront exceptionnelles.Miroir d'ombresDe Thierry Escaich, Hans Graf, directionÀ l'Auditorium de LyonLes 12 et 14 juin à 20h30


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La nature inhumaine