La nature inhumaine

Rencontre / Mariette Job sera jeudi à la librairie Decitre pour présenter le Journal d'Hélène Berr, un témoignage inédit que cette jeune étudiante juive a tenu à Paris entre 1942 et 1944. Bouleversant. Yann Nicol

Ecrit entre 1942 et 1944, le Journal d'Hélène Berr est resté pendant cinquante ans un document privé qui circulait uniquement dans le cercle familial. C'est au début des années 90 que sa nièce, Mariette Job, récupère l'original auprès du fiancé d'Hélène à l'époque, Jean Morawiecki. En 2002, elle le confie au Mémorial de la Shoah avant d'accepter, en 2008, que les éditions Taillandier ne le publient. Ce document, d'une force émotionnelle incomparable, est aussi un témoignage précieux sur les années d'occupation, autant qu'une oeuvre littéraire à part entière. Dès les premières pages, on est frappé par la puissance d'évocation de cette toute jeune femme. Nous sommes en 1942. Hélène Berr a vingt ans. Elle est une étudiante privilégiée de la bourgeoisie juive parisienne qui, malgrè la guerre, mène une vie relativement insouciante et heureuse. Mélomane, érudite, raffinée, elle prépare alors une thèse sur l'oeuvre de Keats (les lois de Vichy lui interdisent de passer l'agrégation) tout en s'adonnant à sa passion pour la musique. Entre Paris et la maison de campagne d'Aubergenville, c'est aussi le temps des premiers émois amoureux. Cette vie "normale" est une première fois bouleversée, en mai, par l'ordonnance allemande imposant aux juifs le port de l'étoile jaune : Ce sont les deux aspects de la vie actuelle : la fraîcheur, la beauté, la jeunesse de la vie, incarnée par cette matinée limpide ; la barbarie et le mal, représentés par cette étoile jaune. Elle le sera à nouveau, en juin, lorsque son père est arrêté et interné pour plusieurs semaines au camp de Drancy.Ecrire pour témoigner
Arrive ensuite le mois de juillet et les terribles rafles du Vélodrome d' Hiver, qu'Hélène vit de très près puisqu'elle est depuis quelque temps bénévole pour l'Ugif, l'Union générale des Israélites de France. Le journal s'interrompt alors pendant presque un an. Une année, dont on devine alors qu'elle fut terrible, et qui conforte la jeune femme dans son désir d'écrire, de rendre compte, de nommer, de témoigner." Car comment guérira-t-on l'humanité autrement qu'en lui dévoilant d'abord toute sa pourriture, comment purifiera-t-on le monde autrement qu'en lui faisant comprendre l'étendue du mal qu'il commet ? Tout est une question de compréhension ", écrit-elle le 10 octobre 1943. Plus le temps passe, et plus l'étau se resserre. Hélène et ses parents sont contraints de déserter leur maison, avec la certitude que leur tour viendra bientôt. Les dernières pages du Journal sont écrites le mardi 15 février 1944, un mois avant qu'elle ne soit arrêtée et internée à Auschwitz. On y lit notamment ces mots : "Je souffre en pensant à la souffrance des autres. S'il n'y avait que moi, tout serait si facile. Je n'ai jamais pensé à moi, et ce ne serait pas maintenant que je commencerais. Je souffre de la chose en elle-même, de cette monstrueuse organisation des persécutions, de la déportation en elle-même ". Morte à Bergen-Belsen en 1945, quelques jours seulement avant la Libération, Hélène Berr laissait derrière elle ce journal poignant, que le grand public peut désormais découvrir grâce à cette publication inédite. Une lecture à la fois terriblement éprouvante et absolument nécessaire.Mariette Jobà la librairie DecitreJeudi 12 juin à 17h30

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