Collections passions

Expositions / Des collectionneurs privés s'invitent dans les musées et les galeries, proposant trois expositions très réussies au Musée des Beaux-Arts, au Réverbère et à la galerie Henri Chartier. Jean-Emmanuel Denave


Collections, piège à cons ? Il est toujours tentant de caricaturer le collectionneur (ou la collectionneuse) comme un type plein aux as qui sort de son 4X4 une baudruche de Jeff Koons ou une vache coupée en deux baignant dans le formol de Damien Hirst pour décorer son salon et épater ses amis imbibés de champagne… Certes, cela doit bien exister. Mais le collectionneur peut être aussi «petit» ou obsessionnel, ou tout simplement passionné et éclairé… Antoine de Galbert a été galeriste à Grenoble pendant une dizaine d'années et a créé en 2004 la fondation privée parisienne La Maison rouge qui présente souvent de très bonnes et très originales expositions d'art contemporain. Sa collection est elle aussi assez singulière. «Ma collection est constituée, pour l'essentiel, d'œuvres d'artistes vivant aujourd'hui, mais le voyage mental et visuel que j'effectue depuis de longues années se situe dans le culte de l'objet et la trace de l'homme, et non dans l'Histoire de l'art et ses classifications qui m'ennuient» déclare-t-il. «Je m'attache, consciemment ou non, à bâtir des ponts transversaux entre les choses. Je regarde avec le même plaisir une œuvre ancienne, un objet primitif, une vidéo contemporaine».

Sans œillères historiques

Antoine de Galbert présente au Musée des Beaux-Arts de larges extraits de sa collection, confrontés à une dizaine d'œuvres du musée. Et l'exposition est somptueuse ! Elle débute logiquement avec une œuvre de Christian Boltanski, artiste capable de digérer le meilleur de l'art conceptuel ou minimaliste pour créer des œuvres accessibles à tous, émouvantes et explorant des questions aussi simples qu'essentielles : le sens de l'existence, l'identité humaine noyée dans les sociétés de masse ou happée par le hasard, la mémoire, l'Histoire… Ici c'est une simple ampoule qui s'éteint et s'éclaire selon les battements cardiaques de l'artiste. Et le parcours ira au même rythme, s'étayant sur des thématiques simples (la croyance, la folie, la mort, l'avenir du monde contemporain…) et rapprochant des œuvres d'obédiences hétéroclites. Citons par exemple la superbe salle où voisinent un Christ de douleur du XVIe siècle, un flot de sang photographié par le sulfureux Andres Serrano, une grande toile gestuelle faite de peinture et de sang réalisée par l'actionniste viennois Hermann Nitsch. Plus loin, on pourra découvrir un Concetto spaziale de Lucio Fontana (une de ces toiles fendues au cutter par l'artiste), le confessionnal de Sophie Calle, un assemblage futuriste et mutant du Japonais Kudo Tetsumi et beaucoup de très touchantes et/ou très étranges photographies signées Dieter Appelt, Walker Evans, Anders Petersen, Luc Delahaye…

Sans barrières formelles ou morales

Des photographies, il y en a aussi et de fort belles au Réverbère. Pour fêter ses trente ans et rendre hommage à ses collectionneurs, la galerie a proposé à dix d'entre eux de sélectionner chacun cinq images parmi l'œuvre immense du grand William Klein. Soit dix mini-musées imaginaires constituant une sorte de petite rétrospective de cet artiste qui a révolutionné, dès les années 1950, les codes de la photographie, faisant rentrer dans son cadre le flux des villes, les contorsions et la diversité de la vie, la violence des rues, le mouvement des foules. Les choix s'organisent souvent autour de coups de cœur et d'images fortes et connues de William Klein : le gamin pointant en grimaçant un revolver vers l'objectif, le performeur japonais la tête recouverte d'un tissu noir dansant dans les rues de Tokyo, des scènes de rue à New York… Mais certains collectionneurs présentent aussi des ensembles particulièrement cohérents, tel Christian Gaillard, sensible à la prolifération des signes ou des masses humaines, à Moscou, à la bourse de Tokyo ou à New York. A la galerie Henri Chartier, derrière l'hétérogénéité des objets et des œuvres, le petit cabinet de curiosités concocté par Frédéric de Florenne a lui aussi sa cohérence : son goût pour l'insolite (jusqu'à un crâne d'antilope ou à des ustensiles anciens de cabinet dentaire), le bizarre, le licencieux… Des autoportraits en travesti de Pierre Molinier aux fantasmes érotiques dessinés par Roland Topor, en passant par quelques très beaux dessins de Hans Bellmer ou des créations d'anonymes autistes. Un foisonnement de curiosités et de petites perles artistiques qui complète à merveille l'exposition de dessins tourmentés de la jeune et talentueuse Caroline Demangel, dans l'autre salle de la galerie.

Ainsi soit-il, Collection Antoine de Galbert-Extraits
Jusqu'au 2 janvier, au Musée des Beaux-Arts
«Klein + 10 collectionneurs»
Jusqu'au 31 décembre, au Réverbère
Carte blanche à Frédéric de Florenne + Caroline Demangel
Jusqu'au 15 octobre, à la galerie Henri Chartier


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