Sigur Rós Valtari (EMI)


Vu de France ce n'est pas forcément évident mais, en Islande, Sigur Rós est le deuxième pilier de la musique locale – le premier étant une fausse rousse passée par les Nuits de Fourvière en 2012 dans une robe en plastique du plus bel effet –, idolâtré au plus haut point sans que cela n'empêche ses membres d'aller quérir leur café au Kaffitar, – le Starbuck local – en toute quiétude.

Le groupe pourrait aussi, étant donné son statut, resservir toujours un peu la même recette, et ce, d'autant plus que personne n'est encore parvenu à la copier. Ce n'est pas tellement le genre de la maison. Sigur Ros nous avait ainsi laissé avec un album studio Með suð í eyrum við spilum endalaustplutôt folk, enlevé – on doit au titre Festival le finale épique du film 127 heures de Danny Boyle mais moins ampoulé que certaines parties de leurs production. Ainsi que sur un live (CD et DVD), Inni, dont l'esthétique charbonneuse et dépouillée contrastait avec les envolées pastorales du splendide DVD Heima, relatant la tournée du groupe dans tout ce que l'Islande compte de sites naturels à couper le souffle.

Ce dernier album, sobrement baptisé Valtari (qui signifie à la fois « rouleau » et « déferlement ») porte la marque légèrement planante des escapades en solo, ou en duo avec son boyfriend Alex, de leur angélique chanteur Jón Þór Birgisson dit Jónsi. Et s'accompagne de « mystery film experiments » dont l'un, celui de l'ultime titre Fjögur pianó met en scène l'acteur Shia Labeouf comme on ne l'a jamais vu.

 Ici, il faut attendre le troisième morceau, le splendide Varúð, pour que le quatuor nous offre un de ses survols mystiques dont il a le secret – percussions comme calquées sur un rythme cardiaque et l'archet du chanteur-guitariste en guise de drone-propulseur. On croit avec le titre suivant, construit sur le même schéma, que le groupe a repris ses vieilles habitudes. Mais c'est pour mieux se faire démentir par la suite, où Sigur Rós, en apesanteur, refuse de redescendre pour un enchaînement de titres hauts perchés et incroyablement mélancoliques. En écoutant Valtari on ne peut s'empêcher de penser à la splendide séquence d'ouverture du Prometheus de Ridley Scott où un géant extra-terrestre, supposément divin, se jette dans ce qui est en réalité la gigantesque chute de Dettifoss, au nord de l'Islande. Sigur Rós serait ce géant extra-terrestre, auteur d'un saut de l'ange qui à jamais resterait suspendu, bafouant toutes les lois de la gravité.

Stéphane Duchêne


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