Prometheus

Se voulant un retour aux origines de la saga "Alien", "Prometheus" est surtout une impasse pour Ridley Scott, tiraillé entre l’envie de retrouver sa splendeur graphique des débuts et son désir de rivaliser avec les blockbusters d’aujourd’hui. Christophe Chabert

L’attente disproportionnée qui a entouré Prometheus, de l’annonce du projet (une prequel d’Alien) à ses nombreux changements d’horizon («l’invention d’une nouvelle mythologie») ne sont peut-être pas pour rien dans la déception éprouvée à la vision du film. Qui ne commence pourtant pas si mal… Pour la première fois, Ridley Scott s’essaie à la 3D et les images d’introduction, travellings aériens survolant une nature majestueuse, loin du space opera attendu, ont de l’allure. Même l’étrange géant diaphane qui se décompose au contact d’une substance noire et liquide, désintégrant jusqu’à son ADN, permet à Scott de déployer une certaine maestria visuelle.

Quand le film s’envole dans l’espace avec une troupe de scientifiques et de grouillots au panel très Benetton, on y croit encore. Scott glisse par exemple une idée étonnante : l’androïde David, interprété par Michael Fassbender (curieux, tout de même, d’avoir confié à l’acteur le plus physique et sexuel du moment un personnage robotisé et désincarné), choisit son look en référence à Peter O’Toole dans Lawrence d’Arabie. Comme si, autant que d’expliquer les fondements de la saga Alien, Ridley Scott voulait réinscrire la science-fiction dans une grande histoire de l’aventure hollywoodienne, avec David Lean comme patron.

Trop de scénario

Les choses se corsent quand Prometheus entre dans le vif de son scénario. Celui-ci, cosigné par Damon Lindelof, un des créateurs de la série Lost, est un vaste fourre-tout qui montre, à de nombreuses reprises, que l’auteur a bien du mal à oublier son passé télévisuel. Cela se traduit sur deux versants : d’abord, sa façon de faire durer les scènes en pure perte, quand il ne les envisage pas comme une simple pièce de la machine narrative qu’il est en train de construire. Ainsi doit-on parfois se farcir des tunnels de dialogue sans intérêt, comme lors de cette scène de cul entre Noomi Rapace et Patrick Wilson qui ne sert qu’à faire avancer péniblement l’action vers le dernier acte.

Par ailleurs, la structure de l’histoire hésite entre voler de ses propres ailes et coller à celle de l’Alien original. C’est à la fois incompréhensible et grotesque car l’action, qui se déroule trente ans auparavant, n’avait pas besoin de se caler dans de quelconques marques. En découle le sentiment bizarre d’assister à un film timoré, qui voudrait à la fois mettre le spectateur en terrain connu tout en lui vendant de l’inédit.

L’autre problème de Lindelof, plus grave, est sa tendance à faire de la philosophie de bazar. Ici, rayant d’un trait de plume Charles Darwin (au moins a-t-il la décence de le faire souligner par un des personnages), il invente une race extra-terrestre ayant créé l’homme à son image, en plus petit et moins livide. Dans le sens inverse, les scientifiques qui font cette découverte pour le moins révolutionnaire restent fermement attachés à leur croyance chrétienne et, tels les frères Bogdanoff, s’imaginent que derrière ces géants, il y a forcément le doigt de Dieu. À intervalles réguliers, la question revient dans le film, avec de très gros sabots et des références déjà usées grossièrement dans Lost à Descartes, Rousseau, Hobes… Comme si la métaphysique s’était arrêté au XVIIIe siècle, alors que l’on nous montre des humains archi-cultivés du quasi XXIIe siècle ; passons.

Des restes du futur

Que reste-t-il alors de l’ambition de départ, à savoir ce foutu retour aux origines d’Alien et, de fait, à celles de la carrière de Ridley Scott. Pour ce qui est des explications, le film, là encore, tente un grand écart : montrer d’où vient le mythique space jockey, et inventer une créature qui, si elle n’est pas l’alien, pourrait en être la source. Sans trop révéler la fin, disons que Scott et Lindeloff n’insultent pas l’avenir en arrivant in extremis à relier tout cela dans une dernière scène plutôt expédiée tout en laissant ouverte la possibilité d’une suite, donc en maintenant un gros blanc dans la chronologie des événements. Le truc est assez cynique, et on peut se sentir floué à la fin de la projection.

Mais il en va ainsi de la carrière de Ridley Scott depuis son come-back fulgurant avec Gladiator. Businessman avisé s’aventurant dans tous les genres et dans tous les budgets, n’hésitant pas à mettre ses pas dans ceux des cinéastes héros du moment (Hannibal, sa suite au Silence des Agneaux, en est le meilleur exemple) ou carrément à revenir sur ses propres traces (sa lamentable tentative de retrouver la grâce de Gladiator dans le pitoyable Robin des bois), Scott a aussi parfois de vrais coups de génie (comme dans ce film-monstre qu’est La Chute du faucon noir). Avec Prometheus, il n’a jamais autant exhibé cette schizophrénie créative : être à la fois à la pointe du divertissement hollywoodien et s’en démarquer par une forme de stase graphique qui n’aurait d’autre but que la sidération du spectateur.

Marier ces deux objectifs s’avère vite une mission impossible. En matière de spectacle, Prometheus est faible et ses morceaux de bravoure, concentrés dans la dernière demi-heure, paraissent bien maigres face aux envolées d’un Cameron ou même, pour rester dans l’actualité, à celle de Joss Whedon dans Avengers. En revanche, le Ridley Scott styliste marque des points, et c’est ce qui sauve le film de l’insignifiance. Il y a de réelles visions, uniques et inspirées, dans Prometheus : une césarienne effectuée par une machine, un flashback qui vient s’inscrire à même le présent de l’action, par le truchement d’images vidéo parasitées au réalisme amplifié par l’usage de la 3D.

C’est peut-être là que Scott prolonge le mieux les trouvailles d’Alien. Envisageant le futur comme un agglomérat entre des images passées et ses propres novations esthétiques, comme la rencontre entre une civilisation ancienne fondée sur un rapport organique à la matière et la technologie froide de l’innovation scientifique, Scott poursuit, dans la marge de Prometheus, son œuvre d’auteur singulier et visionnaire.

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