La danse à blocs

À la Maison de la danse, à l'Opéra, aux Célestins ou dans d'autres lieux, la mode est aux grands «blocs» ou ensembles consacrés à une période artistique, un auteur ou de jeunes talents en pleine ascension. Passage en revue de ces quelques moments forts de la saison danse et cirque 2012-2013. Jean-Emmanuel Denave


Un soir au Théâtre de la ville, Anne Teresa de Keersmaeker a vraisemblablement voulu tuer un spectateur… Ce dernier hurlait «lamentable !» lorsque celle-là s'essayait (maladroitement) à chanter du Gustav Mahler en dansant (adroitement) seule en devant de scène. Regard noir et agressif, corps arqué vers l'avant, membres tendus de colère…. Il faut savoir qu'à Paris comme ailleurs, on ne s'attaque pas impunément à la fine fleur de la création musicale, ce (réellement) si sublime Chant de la Terre défendu fortississimo par le moindre mélomane… Et pourtant ! Depuis une trentaine d'années, c'est vers la musique classique ou contemporaine et la composition en général que portent tous les efforts de la grande artiste belge. La danse et la musique, ce vieux couple ancestral abandonné par beaucoup, qu'elle ne cesse, quant à elle, de comparer, analyser, décortiquer, frotter l'un à l'autre.

Passé composé

Keersmaeker crée ses pièces par annotations quasi musicales : canons, contrepoints, variations… ainsi qu'elle l'explique longuement et passionnément dans un ensemble livre et DVD sorti récemment aux éditions Fonds Mercator-Rosas. Ses quatre premières pièces "de jeunesse" y sont décortiquées jusqu'à l'os, soit dans l'ordre : Fase sur la musique de Steve Reich (1982), Rosas danst Rosas (1983), Elena's Aria (1984) sur Bizet, Donizetti et Mozart, et Bartok/Mikrokosmos (1987) sur le Quatrième Quatuor à cordes du compositeur. Quatre petits ou grands chefs-d'œuvre que nous pourrons redécouvrir à la Maison de la danse dans le cadre du festival «Le boom des années 1980» (avec aussi la reprise très attendue de Welcome to paradise, duo mythique de Joëlle Bouvier et Régis Obadia créé en 1989). C'est une chance pour les amateurs de danse, tant Keersmaeker se produit rarement à Lyon et une nouveauté aussi dans la programmation de la Maison de la danse signée cette année Dominique Hervieu. Celle-ci inaugure des rétrospectives et des ensembles de plusieurs pièces signées par un même chorégraphe. C'est le cas pour Keersmaeker et aussi avec "l'archipel Gallotta" réunissant spectacles anciens ou récents de l'espiègle Grenoblois, conférence, rencontres et même projections au cinéma Comoedia… L'Opéra, habitué à ce genre d'exercices, doublera la mise avec un temps de sa saison consacré à la grande dame de la post-modern dance, Trisha Brown. Le Ballet interprètera deux pièces de la chorégraphe (Newark et For M.G. : the Movie), avant que la Trisha Brown Dance Company elle-même ne présente un programme en quatre pièces de différentes époques, dont l'inusable et superbe Set and Reset.

Futur antérieur

De longues séries ou festivals seront consacrés aussi à de plus jeunes artistes : le festival «Sens dessous dessus» à la Maison de la danse, avec six chorégraphes émergents (Coraline Lamaison, Eugénie Rebetez, Thierry Collet…), ou par exemple l'invitation lancée au (déjà très reconnu et très défendu dans nos colonnes) circassien Mathurin Bolze comme artiste associé à la programmation du Théâtre des Célestins pour trois saisons. Il y présentera une nouvelle création, A bas bruit, inspirée de l'œuvre du cinéaste et ethnologue Jean Rouch, et organisera la deuxième édition du festival de cirque contemporain utoPistes. Le Théâtre de la Renaissance qui reprendra la création de Mathurin Bolze en mai, consacrera auparavant toute une semaine au chorégraphe et touche à tout Pierre Rigal. Avec notamment un concert chorégraphié (Micro), une installation photographique et une reprise du solo génial et claustrophobe, Press… Du côté du Toboggan, on pourra boucler la boucle et revenir aux années 1980 avec deux soirées consacrées à Mathilde Monnier. Ses deux premières pièces signées avec Jean-François Deroure, les duos Pudique acide (1984) et Extasis (1985), expressionnistes, délurées et humoristiques en diable, seront repris par deux jeunes danseurs. On fera ensuite un grand bond dans le temps avec le duo burlesque créé et interprété par Mathilde Monnier et la performeuse espagnole La Ribot. Gustavia prouvant aux sceptiques que les chorégraphes des années 1980 ont encore aujourd'hui bien des idées et de l'énergie à déployer…

Agenda :
À bas bruit de Mathurin Bolze, aux Célestins, du 9 au 27 octobre (et reprise du 14 au 17 mai au Théâtre Renaissance) + festival «utoPistes», aux Célestins, du 27 au 30 juin
«Le boom des années 1980», à la Maison de la danse, du 10 janvier au 3 février
Événement Trisha Brown, à l'Opéra, du 9 au 17 février

Mathilde Monnier :
« Pudique acide + Extasis »,  au Toboggan, mardi 19 mars
Gustavia (avec « La Ribot » ), au Toboggan, jeudi 21 mars
« Collection Particulière : Pierre Rigal », au Théâtre de la Renaissance, du 9 au 13 avril
Festival «Sens dessus dessous», à la Maison de la danse, du 24 au 27 mai 


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