Du bon usage de la matière grise

Avant la Fête des Lumières, c'est fête des cerveaux sur Lyon et sa région avec la première édition de Mode d'emploi, festival dédié à la réflexion tous azimuts, avec des invités de toutes obédiences. Jean-Emmanuel Denave


Alors qu'on évoque souvent la gastronomie, le football et les lumignons high-tech pour résumer Lyon à grands traits, la ville (et plus largement la région Rhône-Alpes) serait-elle en passe de devenir aussi une capitale intellectuelle, quelques siècles après sa grande période humaniste ?  C'est en tout cas le pari que prennent les pouvoirs publics (Le Centre National du Livre, La Région et le Grand Lyon), la Villa Gillet et son hyperactif directeur Guy Walter (directeur par ailleurs des Subsistances et responsable des Assises Internationales du Roman) avec Mode d'Emploi. Un tout nouveau «festival des idées» qui s'étalera sur deux semaines, plusieurs villes et réunira moult invités pour des débats, rencontres, tables rondes…

«L'idée, confie Guy Walter, est de redonner au débat intellectuel toute sa vigueur, surtout en ces temps de crise où se pose le problème crucial du vivre ensemble. On a vu avec les activités de la Villa Gillet que la demande de débat était très forte à Lyon». Quelques signes épars confirment la montée en puissance de la ville dans le domaine de la production de savoir : l'arrivée pas si ancienne que cela de l'ENS (Ecole Normale Supérieure) lettres, la reconnaissance de chercheurs locaux (le sociologue Bernard Lahire par exemple, qui a récolté coup sur coup la médaille d'argent du CNRS et la Légion d'honneur et sera l'un des invités du festival), l'ouverture en 2013 sur le site du Vinatier du Centre de recherches en neurosciences…

Diversité

On pourrait évoquer ici les ancestrales bisbilles entre universitaires, les cloisonnements archaïques entre disciplines, les guerres de tranchée entre sciences dures et sciences humaines, etc. Et ainsi s'étonner de voir la Villa Gillet réunir des acteurs de toutes les tribus (scientifiques, politiques, intellectuelles…) pour les faire parler et échanger ensemble. L'événement sera-t-il du coup éphémère, comme le sont trop souvent les grands festivals lyonnais, ou impulsera-t-il des mises en réseau pérennes ? That's the question.

Quoiqu'il en soit, Mode d'Emploi affiche sa quête d'un équilibre entre différentes théories, critiques et pratiques ; entre chercheurs et acteurs de la vie associative et politique ; entre invités internationaux, régionaux et nationaux. Selon Guy Walter, nous serions aujourd'hui, après la disparition des grandes figures intellectuelles dans les années 1990, dans une période de retour des penseurs (Pierre Zaoui, Bruno Latour…), «avec de nouveaux questionnements sur les thèmes de l'environnement, de la mondialisation, des nouvelles technologies, avec une nouvelle urgence à penser. Nous vivons une période angoissante mais aussi hyper intéressante sur le plan des mutations technologiques, de l'épistémologie des sciences, des nouvelles frontières, de la cybernétique…».

En conséquence, au risque de l'éparpillement ou de l'engorgement, Mode d'Emploi s'attelle à (presque) toutes les questions : du réchauffement global aux religions, du vieux problème philosophique du Mal aux greffes artificielles et aux cyborgs, de la question du genre à celui du soin, de l'urbanisation aux problèmes éthiques de la vidéosurveillance. Pour nous perdre un peu plus et pimenter le tout : Christine Angot viendra lire son dernier roman et Hippolyte Girardot les Cent vingt journées de Sodome de Sade.

Diptyque

Concrètement, ce festival boulimique est scindé en deux grandes parties. La première semaine se déroulera aux Subsistances et les débats seront précédés ou suivis par des représentations d'artistes de tout poil, souvent des fidèles du lieu : la performeuse américaine Cynthia Hopkins, le metteur en scène Bruno Meyssat, la contorsionniste Jeanne Mordoj…

Quant aux discussions, elles tourneront autour du changement climatique, de la crise économique et de l'argent (avec le philosophe Pierre Zaoui), de la question de l'identité sexuée (en présence de l'écrivain Claude Arnaud) ou encore de la liberté sexuelle (avec Roselyne Bachelot, Ruwen Ogien).

La seconde semaine sera, elle, spécifiquement centrée sur les débats et se déroulera surtout à l'Hôtel de Région. Avec une formule similaire à celle des Assises du Roman : chacun des trois ou quatre intervenants lira un texte, lecture suivie d'une table ronde animée par un journaliste, de questions de «grands intervenants» et, enfin, d'aller-retour avec le public. Le tout accompagné d'un programme pléthorique de rencontres en médiathèques ou librairies, de projections de films, d'ateliers, de conférences associées…

Mode d'emploi
du mardi 20 novembre au dimanche 2 décembre


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