Steven Spielberg, une rétrospective

Richard Schickel Éditions de la Martinière


Aussi étrange que cela puisse paraître, peu d'ouvrages ont été consacrés à la filmographie pourtant conséquente de Steven Spielberg. La réponse à ce mystère est partiellement avancée par Richard Schickel dans cette «rétrospective», beau livre richement illustré où l'auteur ne cache pas son admiration pour l'œuvre, même s'il émet parfois des réserves surprenantes concernant certains opus — Minority report, notamment. Le succès remporté par Spielberg tout au long de sa carrière et sa capacité à passer d'un registre "sérieux" à un autre plus léger et ouvertement divertissant a longtemps rendu le cinéaste suspect aux yeux de la critique.

De fait, on découvre dans ce travail made in USA que la défiance envers le cinéma de Spielberg n'est pas seulement l'apanage d'une partie de la critique française — qui s'est exprimée, encore, lors de la sortie de Lincoln. La presse américaine aussi lui a toujours cherché des poux dans la tête, lui reprochant tantôt de se complaire dans le cinéma pop corn, tantôt de s'aventurer vers des sujets qui le dépassent. Or, c'est justement ce que Schickel admire chez Spielberg : son œuvre fonctionne au désir et à l'envie, à la curiosité autant qu'à l'excitation, et peut de fait connaître des réussites exceptionnelles dans l'efficacité pure mais aussi dans des films nettement plus personnels et difficiles d'accès. Spielberg le dit : avant, il se demandait pourquoi les cinéastes ne traitaient pas certains sujets ; maintenant, il a la capacité de le faire lui-même et il ne s'en prive pas, au risque de ne pas être à la hauteur de l'enjeu.

Schickel revient donc sur l'ensemble de la filmographie, présentée par ordre chronologique et se limitant à son activité de cinéaste pour le grand écran — ses contributions de producteur et ses réalisations pour la télévision sont à peine mentionnées en fin d'ouvrage. Il y alterne les propos recueillis au long des interviews que Spielberg lui a accordées, les anecdotes sur les tournages — les avanies subies lors des Dents de la mer, le malaise permanent éprouvé pendant La Liste de Schindler — et une lecture filée du thème qui traverse toute l'œuvre : celui des «enfants perdus». Plus étonnant, Spielberg lui-même se livre parfois à de singuliers autodafés, à propos de 1941, de Hook ou de la fin tant décriée du quatrième Indiana Jones, caprice passé à un George Lucas en pleine régression post-Star Wars.

Spielberg fait ainsi preuve d'une lucidité que peu de cinéastes américains — par fausse modestie ou simplement par désintérêt vis-à-vis de l'idée même de carrière — osent exprimer. Alors qu'il est à la tête d'un empire et d'une fortune colossale, il a gardé quelque chose du jeune garçon qui a réussi à fausser compagnie à son groupe lors d'une sortie scolaire aux studios Universal, puis qui a pu s'y faire passer pour un employé avant de le devenir réellement : un homme pétri d'une seule ambition, celle de faire les films qui le font rêver, de repousser ses limites et d'explorer sans cesse de nouveaux territoires cinématographiques.

Christophe Chabert


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