Accélération de particules

Les héros tchekhoviens par définition s'ennuient. Mais plutôt que d'étirer le temps, l'Argentin Daniel Veronese l'accélère jusqu'à l'étourdissement dans une version énergique et vivace de "La Mouette" rebaptisée "Les Enfants se sont endormis". Nadja Pobel


Méfiez-vous des apparences. Personne ne dort dans cette adaptation plus respectueuse qu'il n'y parait de La Mouette - le changement de titre est un leurre. Les personnages, empêtrés dans leurs vies ratées et languissantes, brassent et parlent à toute allure comme pour contrer le néant et l'inaction - la pièce, en espagnol surtitré, dure 1h30 contre plus de 2h habituellement, se mourrant sur une portion congrue du plateau, territoire volontairement rabougri par une marque au sol. Dans leur modeste maison, pas de grands murs et de beaux fauteuils mais des accessoires de base entravant leurs déplacements entre des murs pas franchement rafraîchis. Car comme dans le texte de Tchekhov, les dix personnages sont bel et bien coincés : ils ont beau essayer de s'échapper par l'une des nombreuses portes, ils finissent toujours par revenir se cogner les uns aux autres. Déjà venu à Lyon avec des variations d'Ibsen (Maison de poupée et Hedda Gabler, renommées Le Développement de le civilisation à venir et Tous les grands gouvernements ont évité le théâtre intime), le metteur en scène Daniel Veronese prouve une fois de plus qu'il a gardé dans son travail des traces de sa vie passée de marionnettiste tant il tire presque à vue les ficelles de ses interprètes.

Réveil percutant

De la tradition du théâtre argentin et sud-américain (du moins de ce que l'on peut en percevoir de France), il semble être un parfait exemple, avec sa manière décomplexée et finalement très simple de mettre en espace, de privilégier le récit, les altercations et la proximité des personnages dans un style inspiré des tele novelas - à la manière de la jeune troupe Timbre 4 de Claudio Tolcachir et de son Cas de la famille Coleman, présenté la saison passée à Villefranche. Avec Veronese et sa troupe soudée et fidèle, le théâtre vit, Tchekhov sort de son linceul. «On commence à s'ennuyer» disent en boucle Trigorine, Treplev ou Nina. Mais jamais ils ne laissent le temps au spectateur de faire sienne cette réplique.

Les Enfants se sont endormis
au théâtre de la Croix-Rousse, jusqu'au vendredi 22 février


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Fréquentation record au musée des Beaux-Arts de Lyon