Congo vivant !

Décidément excellent quand il s'attelle à une fresque historique, Christian Schiaretti porte à la scène le poignant texte d'Aimé Césaire, "Une saison au Congo", avec une troupe unie de trente-sept interprètes. Un hommage à la liberté des peuples autant qu'à l'outil même de théâtre. Nadja Pobel


C'est peut-être son cercle de craie caucasien à lui, sa version africaine de Brecht. Christian Schiaretti a tracé un grand trait circulaire blanc au sol, au centre duquel se déroule un événement majeur : rien moins que l'acquisition d'indépendance d'un des pays les plus riches du continent africain, le Congo. Ce décor est alternativement le lieu d'une action située à Leopoldville (future Kinshasa) ou en Belgique, voire à l'ONU et, pourvu d'une scène musicale juste à l'arrière, il constitue surtout la première très bonne intuition de ce spectacle. Pas de grand barnum écrasant ni d'espace nu voire vide, encore moins de plateau démesuré dans lequel les acteurs se noieraient. Recentrée sur le devant de la scène, la troupe, quasi entièrement composée d'acteurs et figurants africains ou d'origine africaine, fait preuve d'une solidarité et d'une force collective qui éclaboussent sans cesse le spectacle et servent pertinemment son propos.

30 juin 1960, l'indépendance du Congo est proclamée par le roi des belges, Baudouin, au son du cha cha cha. La fête précède des instants plus solennels – comme le discours de Lumumba – puis la chute tragique de ce leader qui affirme avec humanité et cœur que «ce qui se joue ici, ce n'est pas notre sort, ce n'est pas le sort de l'Afrique, c'est le sort de l'homme».

Tragédie du non-roi Lumumba

Les faits s'enchaînent au pas de course durant 2h40 qui filent à toute vitesse, les scènes se succèdent avec fluidité grâce à une direction d'acteur impeccable, à croire que Christian Schiaretti n'est jamais aussi convaincant que dans cet exercice difficile (et de plus en plus rare sur les scènes françaises) du travail choral. Après Par-dessus-bord, Coriolan ou très récemment Mai, juin, juillet, le voilà à nouveau chef d'orchestre d'un collectif. La langue d'Aimé Césaire, ciselée, poétique, mais qui ne se perd jamais dans la fantasmagorie et laisse entendre un discours politique cinglant, est parfaitement restituée. Schiaretti balaye avec astuce et simplicité les entraves du texte original – la multiplication des changements de lieux est signalée par une simple inscription, donnant une légèreté bienvenue à l'articulation de la pièce.

A l'arrivée, Lumumba, son rival Mokutu et les autres acteurs de ce pan de l'Histoire vivent, se déchirent, existent pleinement, tandis que résonne cette sentence implacable de Césaire : «Tous les révolutionnaires sont des naïfs. Ils ont confiance en l'homme. Quelle tare !».

Une saison au Congo
Au TNP, jusqu'au vendredi 7 juin


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