La rue est à nous


Les grèves populaires et joyeuses ont bien existé. Nous étions alors dans la France de 1936, Léon Blum venait d'être élu, la SFIO triomphait et, avant même que le gouvernement ne soit constitué, les ouvriers débrayaient pour célébrer l'avènement de la gauche, mais aussi pour réclamer ici la réintégration de deux militants virés, là une augmentation de salaire. Benjamin Forel et sa troupe du Levant, dont nous avions déjà aimé les variations sur Hedda Gabler et Les Sonnets de Shakespeare, s'emparent de ce sujet politique mais sans verser dans la leçon ou le panégyrique historique.

Dans Allons z'enfants ne figurent ni Blum ni personnalités syndicales ; ce qui intéresse Forel, c'est le peuple, ces travailleurs qui occupaient l'espace public, là-même où va jouer sa jeune compagnie. Le texte est à l'avenant, savant montage d'écrits de Simone Weil, de témoignages, d'archives et de notes et chroniques d'André Malraux (publiées en 2006 dans Carnets du Front Populaire), qui rapportait ce qu'il entendait dans la rue ou au café. D'autres écrits plus anciens s'ajoutent à ce corpus, par exemple ceux de Gracchus Babeuf, qui datent de la Révolution fançaise et dans lesquels ce notaire qui préfigura le communisme revendiquait le bonheur comme un droit. 

Plus que des acquis sociaux (qui découleront de ces grèves), ce que réclamait le peuple était en effet du temps libre, du temps pour soi, pour se marier, avoir des enfants, s'amuser, s'épanouir. Le spectacle est en conséquence ponctué de noces, d'accouchements et de bal tandis que le public, lui, est constamment invité à se mêler aux événements. Plus tard dans la saison, la Troupe du Levant se penchera avec L'Autre route sur le versant intime de cette période : la peur de la crise et le repli sur soi.

Nadja Pobel

Allons z'enfants
Place Roger Salengro, devant Le Toboggan, du vendredi 5 au dimanche 7 juillet


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