Suzanne

Peut-on faire un mélodrame sans verser dans l'hystérie lacrymale ? Katell Quillévéré répond par l'affirmative dans son deuxième film, qui préfère raconter le calvaire de son héroïne par ses creux, asséchant une narration qui pourtant, à plusieurs reprises, serre le cœur. Christophe Chabert


Suzanne : le deuxième film de Katell Quillévéré après le timide Un poison violent, choisit son héroïne dès son titre. Mais ce seront autant ses absences que sa présence qui vont intéresser l'auteur, autant les questions que son comportement instable suscite que les réponses qu'on pourrait apporter pour expliquer sa fuite en avant. D'où provient le mal-être de Suzanne ? D'une mère morte très jeune ? Trop facile… Autour d'elle, son père (François Damiens, exceptionnel, qui irradie de beauté et de bonté) et sa sœur (Adèle Haenel, qu'on espère bientôt reconnue à sa juste et haute valeur parmi les jeunes comédiennes françaises) forment une famille aimante, dévouée, compréhensive. Pourquoi choisit-elle de garder cet enfant au père inconnu, alors qu'elle est encore lycéenne ?

Là aussi, Quillévéré décide de laisser le mystère sombrer dans un des nombreux vides narratifs soigneusement entretenus, comme un trou noir qui aspirerait toutes les tentatives d'explications, psychologiques ou sociologiques, pour percer à peu de frais l'opacité de son personnage. Elle-même finira par disparaître du récit, au profit d'une longue ellipse : on la laisse filant le parfait amour avec un ange noir en cavale, on la retrouve des années après en prison, attendant le verdict de son procès pour une banale affaire d'effraction…

Seule avec tous

La force du film tient ainsi à cette manière de souffler en permanence le chaud du mélodrame et le froid sec de la distanciation, créée d'un côté par sa narration pleine de béances, de l'autre par la prestation remarquable de Sara Forestier, que la cinéaste regarde comme une page blanche sur laquelle rien ne s'imprime vraiment : ni le temps, ni les épreuves. Lorsqu'elle craque, c'est toujours en s'isolant — à moins que ce ne soit la caméra qui choisisse de la laisser seule avec sa douleur —, et quand elle prend une décision, celle-ci débarque de nulle part et remet toujours en cause les maigres certitudes que l'on avait sur elle.

Le film l'accompagne sur vingt-cinq années, mais ne cherche pas à en faire un emblème générationnel ; il travaille plutôt à faire tournoyer les époques autour d'elle, saisissant par la musique, les vêtements et les décors le passage du temps, marqueurs culturels d'une tragédie par ailleurs universelle — l'amour fou contre la raison, la liberté à l'épreuve de son corollaire, la culpabilité.

Suzanne
De Katell Quillévéré (Fr, 1h35) avec Sara Forestier, François Damiens, Adèle Haenel…


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