"Raging bull", la passion du christ-boxeur


Après dix ans à se chercher des anti-héros dans les marges de la société, le cinéma américain entamait les années 80 en poussant un cran plus (trop ?) loin les choses, inventant une poignée de flamboyants héros négatifs. Orgueilleux, aveugles, bêtes, cyniques ou tout cela en même temps, ils hantent des œuvres aussi essentielles que La Porte du paradis de Cimino ou Scarface de De Palma. De tous, Jake La Motta est sans doute le plus retors : ce boxeur, qui fut un des rares blancs à aller décrocher un titre de champion du monde au nez et à la barbe de ses adversaires blacks, était dans le privé un monstre paranoïaque, jaloux et profondément égocentrique, ce qui le conduira à une suite de choix désastreux qui ruineront sa carrière et sa famille avant de l'envoyer faire un petit tour en taule.

Dans Raging Bull, sous la caméra de Scorsese — et dans la peau extensible d'un De Niro plus vrai que nature — la vie de La Motta devient une passion christique, manière habile de contourner les écueils de la bio filmée — pas aussi en vogue à l'époque qu'aujourd'hui, pourtant. Le noir et blanc charbonneux, la manière innovante de filmer les combats de tous les points de vue, les scènes cultes bâties sur l'énergie conjointe du dialogue et des comédiens — «You fucked my wife ?» — tout cela relève du plaisir de la mise en scène. Mais derrière, le projet si personnel de Scorsese n'a jamais été aussi beau et poignant : montrer la lente prise de conscience morale d'un individu qui au départ en était dépourvu et qui, au fil des épreuves humiliantes, se met à nu et ne peut plus faire autrement qu'affronter sa propre vérité.

Raging Bull
Aux UGC Ciné Cité Confluence et Internationale, jusqu'au 10 juin


<< article précédent
Tristesse Club