Le plus grand cabaret du monde

Pour sa troisième invitation aux Nuits de Fourvière, la compagnie australienne Circa revisite l'univers fantasmagorique du cabaret. Ça s'appelle Beyond, et ça va effectivement bien au-delà de l'encanaillement pailleté. Benjamin Mialot


La fin de saison sera froufroutante ou ne sera pas. Après le fantasque et quasi testamentaire Et pourquoi pas la Lune ? de Cédric Marchal et tandis que les girls girondes de Tournée font tournoyer leurs tétons aux Célestins , c'est au tour de Circa de s'emparer de la dinguerie et de la volupté du cabaret avec Beyond. La compagnie australienne part avec une longueur d'avance, égale au diamètre du chapiteau sous lequel les Nuits de Fourvière l'accueillent : tout de bois, de velours et de miroirs orné, il ressemble à ces coquets bouges où, durant la Prohibition, parieurs, prostituées et hommes d'affaires en goguette s'esbaudissaient de concert à la vue de prouesses à haut risque.

 

Elles sont ici légion et s'offrent à l'œil dans leur plus simple appareil. Soutien-gorge à fanfreluches pour les filles, gilet de bootlegger pour les garçons, une bande-son où se répondent standards du crooning tiré à quatre épingles et comptines pop déglinguées, et baste, les Australiens ne surchargent pas le barnum. Encore moins leur répertoire, combinaison de classiques de la voltige et du tour de force. Chez eux, c'est dans les détails que se niche le merveilleux : tout a un air de déjà-vu, mais il se trouve toujours un accessoire ou un sévice qui lui ne l'a jamais été ailleurs.

 

Au-delà des apparences

 

Ce sont ces masques d'animaux, principalement des lapins, qui donnent à la troupe des airs à la fois grotesques et inquiétants de sbires du Chapelier Fou, cet antagoniste carrollien de Batman versé dans la traite des Blanches. C'est cette feuille à rouler qui d'un geste microscopique devient un moulin à vent de papier. C'est cette contorsionniste qui retient sa partenaire à la force de ses cheveux. Ce sont ces couples qui dansent tendrement sur les épaules d'une tierce personne. Bien que présenté dans une version condensée et circonscrit à une estrade circulaire, tout Beyond est à ces images, partagé entre purs instants de grâce (magnifique séquence de contorsion à deux sur du CocoRosie) et incartades burlesques (genre du mât chinois en costume d'ours), performances sensuelles à couper le souffle (dont un numéro d'équilibrisme particulièrement transpirant) et pitreries absurdes (type auto-flagellation à l'élastique).

 

Pour rendre toutes les nuances de ce jeu avec les normes, il fallait justement des interprètes hors-normes. Ceux de Beyond le sont autant que leurs collègues qui, l'an passé, rivalisèrent de maestria avec le quatuor Debussy dans le pharamineux Opus : mini-hommes forts aux tatouages de marins ou grandes poupées désarticulables, ilscachent sous leurs muscles de manuel d'anatomie de véritables freaks dont le tempérament, à mesure que se succèdent les torsions contre-nature, affleure en cris bestiaux et regards déments, jusqu'à un pétage de plomb collectif au son de My Way version Sid Vicious– qui vaut manifeste. Et puis il y a cette rouquine à la carrure de barbare – appelons-la Sonja – qui résout un Rubik's Cube comme qui rigole pendant que ses compères lui grimpent dessus. Aussi féminine qu'imposante, elle pourrait personnifier à elle seule la spectaculaire ambiguïté de Beyond. Mais c'est bien, comme toujours avec Circa, d'une réussite collective qu'il s'agit là.

 

Opus
Aux Nuits de Fourvière, jusqu'au samedi 14 juin


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