Très chers voisins

Dans "Bigre", pièce sans paroles qui se fait pourtant bien entendre, un trio de comédiens emmené par l'épatant Olivier Martin-Salvan cherche quelques grammes de bonheur dans une marrée de petites misères. Et c'est hilarant. Nadja Pobel


En prenant le parti de se passer de texte, Pierre Guillois, également présent sur scène, a dû inventer une autre forme d'échange entre ses trois personnages. Un pari d'autant plus risqué que ce qu'il a à nous dire n'est pas très réjouissant. Voyez ces trois individus, cloitrés dans leurs studios grands comme des mouchoirs de poche. Ils pourraient être des étudiants rongeant leur frein en attendant des jours meilleurs. Mais ce sont des adultes, comme un nombre croissant des locataires des appartements minuscules et branlants dont s'enorgueillit notre belle société. Des adultes anonymes dont les caractéristiques font non seulement de parfaits ressorts comiques pour ce spectacle burlesque, mais expriment également comment l'homme, esseulé, s'est mis à parler aux murs.

C'est là que le théâtre reprend ses droits, via un travail méticuleux sur le décor constitué par leurs trois cabanes. L'un des protagonistes loge ainsi dans une piaule high tech et d'un blanc immaculé, ne commandant ses objets que par des artifices (claquement de main, télécommande). Un autre vit dans un capharnaüm digne d'un psychopathe (ou d'un pauvre qui n'aurait pas de placards). La troisième, enfin, siège dans une maison de poupée d'un rose délavé.

Drôles d'endroits pour des rencontres

A partir de là, Pierre Guillois aurait pu se contenter de construire une succession de sketches en solo, duo ou trio, dans la veine des horribles Brèves de comptoir de Jean-Michel Ribes. Mais il a su ne pas étirer des scènes presque acquises, celles avec des chansons entêtantes (on vous met au défi de ne pas chanter à tue-tête Happy Together en sortant !). Ou alors les distordre, faisant par exemple chanter La Valse à mille temps dans un karaoké télé japonais à Olivier Martin-Salvan, qui retrouve ici le metteur en scène de Le Gros, la vache et le mainate et confirme à quel point son talent et sa malléabilité sont hors-normes. Inoubliable dans un registre tout autre et seul en scène dans le Pantagruel de Benjamin Lazar, il forme ici avec Guillois et Agathe L'Huillier une équipe qui, au fil de ces 75 minutes, se soude.

À force de s'être ignorés, rapprochés, séparés, ces voisins en viennent en effet à s'aimer, parce que face à la difficulté d'exister, il n'y pas de solution alternative. Et ce qui pouvait parfois s'apparenter à une sitcom très bien ficelée autour de Sims s'activant à tout et rien de devenir, lors d'une très émouvante séquence finale où chacun pousse ses cloisons, matérielles ou affectives, un art plus que vivant.

Bigre
Au Théâtre de la Croix-Rousse du mardi 25 au samedi 29 novembre


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Eden