Nocturama

Après deux films en costumes (L'Apollonide et Saint Laurent), Nocturama signe le retour de Bertrand Bonello au plus-que-présent de l'allégorique pour l'évocation d'une opération terroriste menée par un groupuscule de jeunes en plein Paris. Brillant, brûlant et glaçant.


Voici des temps absurdes où l'on en vient à redouter les attentats autant pour leur inqualifiable barbarie que pour leurs conséquences sur la diffusion des œuvres cinématographiques susceptibles de les évoquer. Où, en somme, des auteurs proposant une lecture analytique souvent clairvoyante des métaphénomènes sociétaux, voient la carrière de leur film avortée parce que leur fiction s'accorde avec l'actualité, ou lui fait un cuisant écho.

Made in France de Nicolas Boukhrief et Bastille Day de Peter Watkins ont déjà payé un lourd tribut en étant retirés de l'affiche ; quant à l'extraordinaire Les Cow-boys de Thomas Bidegain, il a senti le vent du boulet. Espérons que Nocturama, déjà écarté du Festival de Cannes, ne subira pas de sanction supplémentaire, au nom de la “préservation de l'ordre public”. Soustraire des yeux du malade le thermomètre n'a jamais fait baisser sa fièvre.

Nuit tragique, nuit de bazar…

Nocturama suit le ballet étrange et mutique d'une bande de jeunes gens se synchronisant pour commettre à Paris une série d'attentats simultanés (prévus pour ne causer que des dommages matériels) et qui, leur forfait accompli, se replient pour la nuit dans un grand magasin, attendant que les choses se tassent…

Loin d'être un saprophyte proliférant sur la misère et la douleur des tragédies récentes (il a été tourné avant le Bataclan), le film de Bonello possède de nombreuses vertus. Il intrigue, envoûte même, en montrant la progression chorégraphiée du groupe dont le dessein est, ab ovo, inconnu. Pareille aux ondulations hypnotisantes du serpent avant l'attaque — ou aux belles paroles d'un prédicateur adroit —, la fluidité somptueuse de cette danse précède la violence et l'effroi. Alors, le mobile de leurs agissements se fait jour. Foin de nihilisme ou de motifs communautaro-religieux ! Excédés par une société tyrannique soumise à l'argent, à la sécurité, les terroristes visent ses totems.

L'ironie fera qu'ils se trouveront doublement piégés : physiquement dans le temple de la marchandisation (une grande surface) ; psychologiquement par les tentations, leur amateurisme et leurs motivations divergentes. Le cinéaste opère dans ce second segment du film un immense travail de gestion de l'espace, transformant tous les étages du magasin en une zone à la géographie paradoxale digne d'une gravure d'Escher — aidé en cela par le quadrillage des caméras de surveillance, fondant tous les niveaux en un territoire indistinct.

Et plus le drame s'approche de son issue, plus le temps semble s'étirer, s'ouvrir en son épaisseur — Bonello démultipliant à l'envi les points de vue pour la coda. Il restitue cet état de veille intermédiaire propre aux nuits blanches, quand le songe mêlé à la réalité brouille la perception ; ces instants hallucinés où l'hébétude le dispute à l'incrédulité, qui pourtant capturent le monde avec une terrible acuité.

Nocturama de Bertrand Bonello (Fr, 2h10) avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani…


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