Chroniques d'un mal annoncé

Des raisons d'espérer ? Il n'en reste pas beaucoup. La saison qui vient de s'écouler fut noire en France comme ailleurs. C'est à partir de ce terreau sombre, celui du Mal, que les artistes nous éclaireront le temps d'un spectacle. Voici les meilleurs à venir. De quoi ne pas (trop) se décourager. Et même de rire.


Ce pourrait être l'événement (encore) de cette année : Acceso, porté par Roberto Farias, un inconnu au bataillon, est une pièce dont on ne se remet pas qui sera de nouveau à Lyon (aux Célestins, petite salle, du 8 au 19 novembre). On l'avait vu il y a un an ; le spectacle était programmé dans le si vivifiant festival Sens Interdits. Une heure durant, le comédien est seul sur une scène réduite au minimum et il circule, cherche à dire ce qu'a été, gamin, sa vie sous Pinochet : élevé par des prêtres qui le violaient mais lui donnaient, eux, de l'amour quand sa nation l'abandonnait. Le danger rôde dans la salle, accompagnant ce personnage qui maintenant ne craint plus rien. Farias épouse son rôle d'une manière absolument troublante, profondément déstabilisante.

Pablo Larrain, cinéaste remarquable et remarqué (Ours d'argent pour El Club, décadrage de Acceso), à l'affiche en janvier pour Neruda, brillant biopic, a co-écrit et dirigé ce travail avec un recul nécessaire et bienveillant. Si l'époque évoquée est celle du Chili de la dictature, la pièce dit ce qu'elle a régurgité : les hommes ne se sont pas débarrassés d'une insondable douleur, mais ils tiennent encore debout, avec plus ou moins d'équilibre. Ce théâtre empreint du monde tel qu'il va (mal) n'est pas nécessairement déclamatoire ou documentaire ; il se fait à partir de la matière dont les artistes disposent. Ce peut être un roman.

Les trentenaires vont piocher du côté de l'Amérique : Julien Gosselin a été le temps fort à Avignon cet été avec son mécanique et impeccable 2666 adapté de Bolaño (douze heures fleuve d'une très bonne série qui ne passera pas à Lyon, mais à Grenoble), que Thierry Jolivet avait un temps envisagé de monter.

Le metteur en scène de la cinglante troupe La Meute s'est tourné vers l'américain William T. Vollman, nouvelliste, romancier, passé par l'Afghanistan dans les années 80, qui a publié en 2000 La Famille royale (au Toboggan le 4 janvier et aux Célestins du 10 au 14 janvier), une plongée cauchemardesque aux USA sur fond de crack, dollars et prostituées. Au vu des premières maquettes présentées en début d'année, ce travail s'annonce aussi radical que Belgrade. Musique jouée live, micro HF, scènes serrées qui prennent dans leurs mailles un ou deux personnages... Jolivet scrute le monde avec précision. Et si jamais il n'est question de l'actualité crasse qui pourrait voir l'avènement de Trump, il n'est pas interdit de penser que tout ceci est la même histoire.

Transat et mat

Retour sur le continent européen. C'est par le prisme du collectif Mensuel que nous le regardons : il n'a rien à envier à son voisin d'Atlantique. Ces fantastiques Liégeois que les Nuits de Fourvière ont apporté en France cet été, reviennent au théâtre de Vénissieux pour une date (14 avril) avec leur Blockbuster fait de 1400 séquences de films US mises en musique et en parole sur le plateau. Stallone, Tom Cruise, Julia Roberts incarnent un patron, un chef de presse et le peuple révolutionnaire qui va prendre les armes. Sans la moindre concession, avec une infinie drôlerie et un talent immense, ils osent tout en étant hautement politique. Jubilatoire !

Leurs comparses belges du Raoul collectif avaient déjà ausculté l'affaire Romand avec drôlerie et dinguerie dans Le Signal du promeneur. Le théâtre de la Croix-Rousse poursuit son cheminement avec eux pour Rumeurs et petits jours (que nous n'avons pas encore vu), à défaut du grand soir. Cinq chroniqueurs profitent de vivre leur dernière émission de radio pour libérer leur parole et se positionner, pour certains, en résistance avec la pensée dominante. Où l'on perçoit, comme le dit l'un des membres Jérôme De Falloise, « que l'on est entré dans un totalitarisme du langage car ne fut-ce que mettre trois mots techniques et économiques l'un derrière l'autre, c'est établir un code autoritaire puisque tout le monde croit que c'est ça qu'il faut suivre ». Ils tentent de redonner du sens critique à un discours anesthésié par les puissants.

Enfin, Cyril Teste que nous avions vu se pencher avec intelligence sur l'enfance (Tête haute, à la Renaissance en mai) passe enfin à Lyon (du 13 au 17 juin) pour ce Nobody qui a fait le tour de la France depuis sa création au Printemps des comédiens de Montpellier en juin 2015. Derrière des vitres, des employés robotisés, opérants en restructuration d'entreprises, sont pris dans un microscope grossissant et portés au plateau par une nouvelle génération qui avance en collectif, groupée mais pas masquée !


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Théâtre made in Lyon : Tour d'horizon des créations maison