Du théâtre pour panser

Au vu des programmations hétéroclites (trop) touffues et qui confèrent aux différents théâtres des identités de plus en plus floues, émerge une vague de trentenaires qui, au travers de faits historiques, ou simplement d'histoires d'aujourd'hui, livrent un travail précis, exigeant pour panser nos plaies intimes ou universelles.


Laïka. Avec l'évocation de cette petite chienne jamais revenue de l'espace et de la guerre froide spatiale russo-US, c'est tout un pan d'un monde bien amoché que déploie David Murgia, celui de maintenant, en relatant la vie d'un clochard, de vieilles dames ou d'une prostituée. Il retrouvera le Théâtre de la Croix-Rousse (du 17 au 21 octobre) où il est passé récemment seul (Discours à la nation) ou en collectif avec ses amis du Raoul (Le Signal du promeneur et Rumeurs et petit jour).

À nouveau, il travaille en binôme avec Ascanio Celestini et donne à ce texte puissant une fulgurante densité, ajoutant à la pertinence du propos une véritable performance de comédien. Et pour s'intéresser aux gens de peu, que Macron, dans son propos le plus détestable depuis son élection, a qualifié de « ceux qui ne sont rien » en opposition à « ceux qui réussissent », le théâtre, lui, peut faire quelque chose. Et les considère.

Emmanuel Meirieu, à la Croix-Rousse également avec Des hommes en devenir (du 10 au 14 octobre), une déchirante, modeste, masculine traversée de la perte créera en janvier avec la Comédie Odéon, mais hors les murs dans un lieu public encore inconnu,  Les Naufragés d'après le texte du philosophe et psychanalyste belge qui a consacré sa vie à écouter les SDF, Patrick Declerck. S'il aspire au dénuement sur les plateaux, on est curieux de voir comment Meirieu peut s'approprier un milieu plus hostile et moins maîtrisable que la chambre noire d'un théâtre. Si panser les plaies c'est dire la douleur et la sublimer, alors Cannibale (à la Renaissance du 25 avril au 4 mai), qui passe en troisième saison après sa création à l'Élysée en avril 2016, se doit d'être (re)vu.

Le collectif X issu de la Comédie de Saint-Étienne évoque aussi la disparition et l'amour dans un très cinématographique et séquencé travail dont on ne cessera de vous répéter tout le bien qu'on en pense. Même leitmotiv pour une autre reprise, celle de Lambeaux de Charles Juliet par Anne de Boissy (NTH8, du 1er au 12 octobre).

Autre variation que cette fois nous n'avons pas vu, Mélancolie(s) de Julie Deliquet (À la Croix-Rousse, du 14 au 18 novembre et au théâtre Théo Argence de Saint-Priest le 2 mars). Son triptyque Des années 70 à nos jours était parfois bancal, pas abouti et tournant à la caricature dans sa 3e partie écrite collectivement,  mais il y a en germe, dans les deux premiers volets (Brecht et Lagarce) une acuité à observer avec acidité et bienveillance ses contemporains. Qu'elle s'appuie ici sur Tchekhov laisse augurer du meilleur.

Souffler sur les blessures

Parfois panser ce qui advient transite aussi par quelques flashbacks que la littérature conjointement à l'Histoire permet. C'est le cas de Laurent Brethome qui revient en adaptant Massacre à Paris de Christopher Marlowe (qui faisait l'ouverture du nouveau TNP à Villeurbanne en 1972, par Chéreau !), renommé Margot (aux Célestins du 17 au 24 janvier). Du très mémorable, efficace, juste et rythmé travail de sortie de promo du Conservatoire de Lyon en 2014, il signe un spectacle XXL encore en cours de création dont nous sommes plus que curieux.

Plus politique et néanmoins jamais étendard, le Saigon de Caroline Guiela Nguyen (Croix-Rousse, du 4 au 7 avril) a eu la force d'accorder critique et public à Avignon où il fut unanimement salué. Avec cette fresque bilingue de quatre heures permettant des allers et retours entre Vietnam 1956 et France 2017, elle a su rester fidèle aux caractéristiques de son travail : marcher sur une ligne de crête hypersensible et d'un minimalisme qui ici ne vire pas au maniérisme. Au contraire, il est même le garant d'une ligne de conduite forte qui permet à ce spectacle de se déployer pleinement sans être inutilement volcanique. Saïgon ramène à l'esthétique du cinéaste finlandais Kaurismäki.

Enfin, soigner ses plaies via le théâtre se fait parfois moins délicatement, en arrachant ses pansements pour voir ce qui se passe à même la peau. C'est le travail de l'indispensable festival Sens Interdits dédié au théâtre politique et international. Rendez-vous est pris du 19 au 29 octobre à Lyon comme dans l'agglomération.


<< article précédent
Marc Bonny : « Il y aura des films en plus au Comœdia »